En septembre 2020, la Cour des comptes pointait le « quasi échec du plan logement outre-mer », déplore un rapport sénatorial rendu public lors d’une conférence de presse que nous avons suivie en visio jeudi 1er juillet. Et les sénateurs de marquer leur « inquiétude car le nouveau plan 2019-2022 a pris du retard et nous risquons à nouveau de nous retrouver avec des objectifs non tenus ».
Concrètement, « depuis plusieurs années les rapports s’empilent et nous constatons que l’objectif de 10 000 logements par an n’est pas atteint, l’habitat social se dégrade et les centre-villes dépérissent », pointe Victorin Lurel, sénateur de Guadeloupe.
Son homologue Micheline Jacques, Sénatrice de Saint-Barthélemy, appuie son propos de quelques chiffres alarmants. « 33 000 familles sont en attente de logement social rien qu’à La Réunion », souligne-t-elle, ajoutant que « la Réunion et la Guadeloupe connaissent les prix de logements sociaux les plus élevés de France, proches de l’Île de France » et que « l’habitat indigne concerne plus de 110 000 logement dans les DROM ». Un » phénomène de plus en plus diffus, rendant les situations plus difficiles à identifier et à traiter ».
Ce constat concerne tous les territoires, mais particulièrement la Guyane et bien sûr Mayotte où « les opérations de démolition se sont accélérées (… ) mais pour éviter de ne faire que déplacer des bidonvilles, ces opérations, elles doivent associer en amont et en aval les populations pour identifier des solutions pérennes de relogement. Les actions des ADIL (présentes partout sauf à Mayotte) et celles des associations (comme la Fondation Abbé Pierre, uniquement présente dans l’océan Indien) doivent être encouragées », insiste la co-rapporteure de cette enquête sénatoriale menée conjointement avec Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère et Stéphane Artano, président sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon. Tous les quatre ont mené une « enquête approfondie » pour dresser un état des lieux du logement outre-mer, des actions mises en place des dernières années, et dresser des propositions.
« L’adaptation des politiques aux réalités des territoires se manifeste aussi par le lancement en Guyane et à Mayotte d’expérimentations de nouveaux modes de construction pour lutter contre l’habitat indigne et informel », indique leur rapport.
« Dépasser les frontières » et faire jouer « la coopération régionale »
Leur principal conseil est d’en finir avec la politique « descendante » qui consiste à appliquer aux outre-mer des dispositions nationales, ou décidées à Paris sans tenir compte des spécificités locales. Pour Guillaume Gontard, « les outre-mers sont des laboratoires et un terrain d’expérimentation, ils ont un potentiel d’adaptation adapté aux défis du logement » dont « le premier défi est d’ordre démographique ». Partant du postulat que « l’habitat constitue un levier de développement pour la coopération régionale », il recommande de « dépasser les frontières, ça demande à réfléchir à cette harmonisation des normes ». En effet dans l’Atlantique nord, le bois canadien est le symbole d’un frein au développement. Non homologué par l’UE, il ne peut être utilisé pour la construction à Saint-Pierre et Miquelon. Mayotte gagnerait aussi à pouvoir utiliser du bois malgache, du bambou ou des matériaux d’Afrique du Sud pour s’émanciper du tout-béton, résument en substance les rapporteurs.
« La promotion des matériaux locaux présente en effet un enjeu transfrontalier. De tels échanges existent entre Saint-Pierre-et-Miquelon et le Canada, mais mériteraient d’être davantage développés pour La Réunion et Mayotte avec Madagascar et l’Afrique du Sud. »
Autre piste, valoriser les produits et savoir-faire locaux. « Chaque territoire ultramarin dispose de savoir-faire traditionnels qu’il faudrait non seulement sauvegarder mais aussi valoriser. La priorité est donc de développer la formation d’artisans locaux avec l’aide des organisations professionnelles et de soutenir les filières locales et les matériaux biosourcés comme la brique de terre comprimée (BTC) à Mayotte », indique le rapport sénatorial qui insiste sur le fait que « partout où une solution alternative existe, il faut s’efforcer de substituer au béton des matériaux locaux beaucoup plus adaptés aux conditions climatiques ».
Une politique logement à reconstruire
Chez nous, il faudrait aussi selon les sénateurs « développer un nouvel opérateur de logements sociaux à Mayotte intervenant de façon complémentaire aux actions de la SIM » ou encore « renforcer les moyens et accélérer les travaux de la Commission d’urgence
foncière à Mayotte. »
Mais surtout, notre île a besoin de plus de concertation, de l’aveu même de ses acteurs locaux cités par le rapport sénatorial.
« La table ronde organisée autour des acteurs du logement de Mayotte a tout particulièrement mis en avant cette nécessité de concertation. Ainsi, Nizar Hassani Hanaffi, président du comité territorial d’Action Logement à Mayotte, constate « un manque crucial de coopération et de concertation entre les différents acteurs du logement sur l’île ». Raissa Andhum, vice-présidente du Conseil départemental de Mayotte « confirme l’importance des problèmes liés au manque de concertation ». Pour Ahmed Fadhul Mohamed Soilihi, vice-président du comité territorial Action Logement Mayotte les difficultés de Mayotte ne tiennent pas tant « aux moyens disponibles, mais plutôt à notre capacité à travailler ensemble ».
Pour aborder ces sujets et lever les freins qui persistent, « il est temps d’organiser des Assises de la construction en outre-mer, l’Etat serait bien avisé d’y songer dès à présent », recommande Guillaume Gontard.
Au final, la conclusion du rapport tient dans son titre, il faut « reconstruire la politique du logement en outre-mer ». Mais en tenant compte des acteurs locaux, des matériaux locaux, des forces et des contraintes locales également. En clair, en partant du territoire pour y trouver les solutions adaptées.
Y.D.