Difficile de traverser Combani ce lundi matin. A l’entrée du village en provenance de Mamoudzou, des tonnes de cailloux jonchent le sol dans un tapis parsemé de douilles de grenades lacrymogènes et de balles de défense, témoignant des affrontements de la nuit.
Et si le calme était revenu quand nous nous y sommes rendus, la traversée du village était impossible par le trajet habituel : ici, une benne de tri sélectif bloque la route. Là, ce sont des barrières de chantier ou des gravats divers qui sont étalés pour fermer l’axe principal. A Chaque barrage, des dizaines d’habitants protestent, en compagnie de la police municipale et sous l’œil de quelques gendarmes restés sur place. Près de la borne d’eau potable, deux dames miment des jets de pierre en direction de deux ASVP, comme pour illustrer l’enfer de la nuit qu’elles ont vécue. Partout la colère et le désarroi sont palpables, et l’ambiance, post-apocalyptique. « Ça a commencé vers 14h, et ça a duré jusqu’à 2 ou 3h du matin » décrit Douglas, un habitant de Combani qui a pu assister aux affrontements de sa fenêtre. Il décrit des dizaines de » tirs de flashball et de lacrymogène, ça entrait dans les maisons, les plus âgés ont été incommodés ». Et s’il ne tient pas de barrage avec ses voisins, ce quadragénaire dit ne plus reconnaitre son île. « Ça suffit, Bassi Ivo ! »
Le bilan humain de la nuit n’est en effet pas non plus négligeable. Deux personnes interpellées, trois gendarmes « légèrement blessés ». Un bilan « révoltant » pour une gendarmerie sous tension, mais néanmoins presque « miraculeux » tout de même pour la hiérarchie au regard de la violence « hallucinante » des affrontements, décrits par le colonel Olivier Casties qui évoque un « chaos ». L’officier redoute le pire si la situation ne s’améliore pas.
« Il faut réaliser que malgré cette adversité incroyable, les militaires font preuve de la discipline et du sang froid pour qu’il n’y ait pas de drame à constater, mais il ne faut pas jouer avec la chance, la violence qu’ils ont eue à affronter est phénoménale, on a un véhicule blindé HS, 3 gendarmes qui ne peuvent plus manœuvrer pendant plusieurs jours, je ne laisserai pas faire ça indéfiniment pour des gens qui une partie de la journée sèment le chaos et le reste de la journée bloquent la route avec les gens parce que c’était le chaos durant la nuit ». Il en est à craindre un drame dans des violences telles que les gendarmes seraient en droit de riposter avec des moyens létaux.
« Légalement quand quelqu’un vous met en danger de mort, les militaires peuvent riposter jusqu’au plus haut niveau du spectre. C’est leur professionnalisme qui repousse ce moment mais ce n’est pas un jeu, les voyous ont de la chance de tomber sur nous mais je trouve que c’est jouer les enfants gâtés que d’abuser d’une situation. Croire que de jeter des centaines de kilos de pierres sur des véhicules blindés, c’est sans risque, non ! Ce n’est pas sans risque et il y aura des drames. On a du désengager un Range Rover protégé car il était dégradé, on s’est demandé s’il n’avait pas reçu une météorite ! ».
Une mobilisation urgente avant qu’il ne soit trop tard
Pour lui, il est urgent de voir émerger « un engagement radical de toutes les forces, au lieu d’attendre que la gendarmerie fasse des miracles (…) Ce qu’on souhaite c’est faire comprendre par le biais de l’ensemble des forces, police municipale, élus et parents, d’enjoindre les enfants à regagner leurs foyers, il faudrait que les personnes en charge de ces mineurs assument leurs responsabilités pour les empêcher de commettre ces dégâts » plaide le No 2 de la gendarmerie nationale à Mayotte. Pour lui aussi ces affrontements qui « n’ont pas de sens, ça suffit ».
D’autant que la réponse de la population, aussi compréhensible soit-elle quand on mesure son désarroi et son sentiment d’impuissance, est parfois contre-productive. Ainsi les barrages dressés ce lundi ont-ils non seulement compliqué les déplacements vers les établissements scolaires et la vie économique dépendant de cet axe, mais elle a aussi conduit à l’annulation d’un séminaire qui devait se tenir à la MJC et Combani et qui portait sur la formation professionnelle.
Cette rencontre devait permettre de faire le bilan d’une enquête menée auprès de près de 300 professionnels de santé sur les métiers en tension afin d’organiser des offres de formation pour la jeunesse mahoraise et répondre au mieux aux besoins du territoire. Sa restitution sera reportée à une date ultérieure, mais ce report d’un projet au service de la population illustre bien le cercle vicieux qui pérennise les violences « inadmissibles » qui pourrissent encore et toujours la vie des habitants, et de « toute une jeunesse qui heureusement se sert de sa tête » tient à souligner le colonel de gendarmerie, soucieux d’éviter tout amalgame avec « les voyous ».
Y.D.