Tribune Mouhoutar Salim – La réalité de la violence juvénile à Mayotte effraie : quelles solutions ?

Il y a quasiment un an, était lancé le projet de création d’un Observatoire de la Violence à Mayotte. Notamment copiloté par l’écrivain Mouhoutar Salim. C’est tout naturellement donc qu’il prend la plume, pour interpréter ces manifestations de violence. En les interrogeant à la lueur de la compréhension et de l'assimilation des valeurs importées, et à travers une question, « responsabilités individuelles ou pas ? »

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Mayotte
Mouhoutar Salim : "Cette violence des jeunes n’apparait-elle pas comme l’expression manifeste de notre propre égarement ?"

La réalité de la violence juvénile à Mayotte effraie : quelles solutions ?

Les poussées de violences portées par certains jeunes sont récurrentes à Mayotte et rythment douloureusement la vie de l’île aux parfums, au point que certains adultes craignent leurs jeunes ! Comment en sommes-nous arrivés là ? Les explosions itératives de violences à Mayotte sont comme des incendies que des pompiers de bonne volonté (élus, parents, fundis…) essaient de circonscrire ? Puis d’éteindre sans en connaître, ni en comprendre les mécanismes et les causes. Depuis Antoine Laurent de Lavoisier (1743 -1794), illustre chimiste français, qui expliqua les mécanismes de la combustion, nous savons que « Le feu, que les scientifiques nomment combustion, est une réaction chimique entre deux ingrédients : un matériau (le combustible), l’oxygène de l’air (le carburant), un apport d’énergie servant de déclencheur… »(1). Il importe face ces violences à Mayotte, au-delà du rôle de pompiers amateurs de certains acteurs du corps social, de prendre le temps de bien s’interroger sur les causes et les mécanismes d’une telle combustion sociétale.

Contexte socioculturel mahorais

Aux équilibres traditionnels organisés, comme on l’a vu dans notre premier ouvrage (2), autour de valeurs admises jusque-là comme des références pertinentes par la quasi-totalité de la population : primat de la communauté sur l’individu, valorisation de la solidarité même si elle s’oppose à la liberté, hiérarchie sociale acceptée et peu changeante, imprégnation de toute la vie civile par les principes religieux et l’intangibilité de cette préoccupation communautaire. Quoiqu’il en soit, les références traditionnelles que nous venons de rappeler ne sont pas celles qui sous-tendent le modèle de développement que Mayotte a importé, bon gré mal gré, depuis 1976. Les valeurs modernes qui éclairent depuis cette date, l’effort de transposition à Mayotte de la législation française sont presque opposées à celles de la société traditionnelle : autonomie du sujet, égalité en droits, égalitarisme dans le discours politique, distinction rigoureuse entre le profane et le sacré et entre le public et le privé, démocratie représentative comme forme d’organisation politique.

Peu contestables en elles-mêmes, ces valeurs importées, plus plaquées sur la société mahoraise qu’intériorisées par elle, se dévoient à l’usage en une réduction caricaturale de la philosophie universaliste : matérialisme sans principes, individualisme sans foi ni loi, consumérisme donné en modèle de comportement, assimilation de la démocratie à la simple transparence de tous les actes individuels ou collectifs, etc. Cette redoutable évolution a produit de remarquables pathologies sociales, telles que : l’accroissement et le changement de nature de la délinquance, entièrement renvoyées au système judiciaire moderne, l’opposition marquée entre des zones de l’île livrées à la modernité et d’autres toujours ancrées dans la pauvreté, la compartimentation de la société sur le plan humain, entre deux groupes sociaux (nationaux et étrangers), qui contribuent chacun à sa manière à la construction de ce nouveau type de société, mais aussi sur le plan linguistique, qui rend impossible la plupart des échanges entre les francophones et les non francophones : d’un côté, les français (métropolitains, expatriés et locaux) qui vivent dans la proximité, sans mixité, et la population étrangère, comprenant les étrangers en situation régulière et ceux en situation irrégulière (ESI), appelés communément (clandestins) en provenance de l’Union des Comores et, dans une moindre mesure de Madagascar et du continent africain. Constatons que cette nouvelle société a fait émerger également de nouveaux types d’individus : ceux qui s’enferment dans un groupe, dont ils partagent leurs journées et leur langage, ceux incapables de se tirer seul des situations de la vie quotidienne et angoissés du changement, et les frustrés qui ont le sentiment de ne rien faire.

Les manifestations violentes des jeunes s’affirment d’année en année (Ici en 2018)

Comprendre pour mieux agir

Dans ce contexte, à la douceur d’une jeunesse d’antan ou les situations de rupture sociale étaient facilement maîtrisables par les procédures traditionnelles de gestion de conflits et de crises, qui avaient pour principal objet de rétablir l’ordre et la paix sociale qu’un conflit ou une crise est venu compromettre, succède de nos jours la spirale sans fin des agressions, de la violence et des incivilités de toutes natures dans les écoles et/ou aux abords des écoles, dans les voies publiques, dans les transports scolaires, dans les établissements sanitaires, dans les champs et dans les habitations privés. Moins attentifs, plus instables et rarement respectueux de l’autorité parentale ou professorale voire du maître coranique, beaucoup d’indicateurs sur ces jeunes mahorais sont aujourd’hui au rouge. Cette perception s’appuie sur le vécu de chacun d’entre nous, mais surtout elle est amplifiée par la quantité et la qualité des sujets relatifs à la jeunesse abordés dans la presse locale ces dernières années.

Elle est aussi renforcée par des rapports provenant des institutions, telles que l’Insee, Défenseur des enfants, Mlezi Maoré, CEMEA, DRAJES, ARS , Rectorat , Préfecture, Observatoire des Mineurs Isolés (OMI), Observatoire des Violences de Mayotte (OVM) et Rapport sur les Assises de la sécurité et de la citoyenneté etc., mettant en avant des tendances lourdes : conflits familiaux, ruptures des liens familiaux et sociaux, violences physiques ou sexuelles, échecs scolaires et déscolarisation, troubles du comportement social et conduites addictives, prostitution, cambriolage, mineurs en errance, mineurs non accompagnés vivant en bande, démobilisation parentale.

Les experts et les (fundis) sont interpelés et invités dans la presse et les médias locaux pour parler des problèmes de la jeunesse. Pour certains d’entre eux, leurs visions sont certes importantes mais malheureusement, elles ne sont que le reflet d’une réalité plus ou moins universelle. C’est un peu comme s’ils regardaient la jeunesse mahoraise, uniquement à la lumière des maux observés dans la société (stigmatisation). De l’indignation verbale aux mesures autoritaires (« enfermez-les en prison », « envoyez-les en France ») pour de nombreux intervenants des antennes radiophoniques de Mayotte, (expulsez-les aux Comores) pour le Président de l’Association des Maires de Mayotte (3), qui tente systématiquement d’établir un lien direct entre la violence juvénile et l’immigration clandestine. Il vise ici à convertir un fait individuel en phénomène social et d’en faire un enjeu politique. Cette relation a été reconnue par l’ancien Préfet Jean-François Colombet dans une intervention télévisée sur les antennes de Mayotte la 1ere. Pour des nombreux Préfets de Mayotte et des institutions publiques, ces faits de violences juvéniles relèvent d’actes de délinquance et appellent une réponse policière. Il faut d’abord comprendre pour mieux agir indique quant à lui le Conseiller départemental de Mtsamboro (4).

Quasiment chaque année, des habitants se mobilisent contre la violence. Ici, en 2012

En tout cas toutes ces violences juvéniles mobilisent immédiatement la société mahoraise qui a toujours exprimé collectivement et unanimement la volonté de réagir. Des nombreuses manifestations publiques des habitants sont organisées et ont lieu dans les rues. Elles semblent signifier le refus d’inscrire et d’isoler la signification de cette violence dans des responsabilités individuelles. En tout cas toutes ces réactions traduisent ce sentiment douloureux de ne rien comprendre à cette jeunesse d’aujourd’hui d’où la formule mahoraise suivante : (wana wa leo de liba la leo) (les enfants d’aujourd’hui incarnent les maux d’aujourd’hui) et ne plus rien maîtriser quant à leurs comportements (mahedreleo), qui, selon nos anciens et nos croyances, sont peut- être annonciateurs de (la fin du monde) (mwisso wa dunya), si ce n’est d’un monde traditionnel déstabilisé (Condro, 2013) (5).

Conclusion

Désormais la question de la violence juvénile suscite un vif intérêt comme si ce phénomène était récent dans le contexte socioculturel mahorais. En tout cas nous savons qu’il n’en est rien, puisque les phénomènes de violence sont exercés par des jeunes de manière répétitive depuis 1993 (6). Et depuis le 27 février 2012, date à laquelle, dans l’enceinte du lycée Bamana, à Mamoudzou, un adolescent poursuivi par un groupe de jeunes, est poignardé à mort par l’un d’eux, le nombre d’homicides commis par des jeunes ne cesse d’augmenter (2012, 2017,2019, 2020 et 2021). La violence est au centre des discours publics et des préoccupations de la population. Dans ce débat passionné, est-il possible de prendre un peu de recul, de se demander qu’au-delà de l’immigration clandestine, souvent évoquée dans ce débat, cette violence des jeunes n’apparait pas comme l’expression manifeste de notre propre égarement ?

Pourquoi l’Islam, socle civilisationnel commun de la diversité culturelle des musulmans de Mayotte, n’arrive pas à imposer à l’individu musulman de ce territoire le respect du vivre ensemble qu’Il préconise (Coran 49 :13 ou Coran 4 : 1) ? Cette violence n’est-elle tout simplement pas l’expression d’une société qui ne s’attache plus à des valeurs comme ce fût le cas dans le passé, mais qui prône tout simplement le normatif à travers le matérialisme et le consumérisme ? Est-ce que c’est sombrer dans un relativisme culturel négateur des valeurs universelles que de considérer une microsociété comme celle de Mayotte avec son identité singulière ? Il y aurait sans doute mieux à faire, à l’égard des procédures traditionnelles mahoraises de règlement de conflit. Cependant si la violence des jeunes nous interroge aujourd’hui, il convient sérieusement de la comprendre au-delà d’une simple conséquence des déterministes. C’est de cela que le conseil scientifique de l’observatoire des violences de Mayotte (OVM) veut analyser à travers des faits et des procédures scientifiques, cette chimie particulière des poussées itératives de violences dans notre île.

Salim MOUHOUTAR
Auteur –Conférencier

1 https://www.cite-sciences.fr/fr/ressources/expositions-passees/feu/lexposition/comprendre-le-feu/
2 Mayotte : une appartenance double, Edition Menaibuc, 2011.
3 Reportage de Mayotte première dans le JT de 19h du 10 septembre 2021.
4Journal télévisé du 13 septembre à 13h.
5 Violence juvénile à Mayotte, un nouveau paradigme.
6 Installation à Mayotte du tribunal pour enfant.

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