C’est une affaire drôle et triste à la fois, de gamins qui font preuve d’humour en plein cambriolage sur fond de grande misère.
CARNET DE JUSTICE DU JDM. Ce vendredi après-midi, en comparution immédiate, ils sont tous les deux face à la juge Durand. Ils ont l’air complètement paumés, se demandant ce qu’ils font là, à entrer dans la salle d’audience les menottes aux poignets, entourés de gendarme. Ils sont en garde à vue depuis la veille, soupçonnés d’avoir cambriolé et d’avoir détérioré un restaurant du centre de Mamoudzou.
Les dégâts qu’ils ont causés sont minimes : un tag laissé sur un mur. Les cambrioleurs ont inscrit «Minuit 02 : l’heure du crime». Ou plutôt en version originale «Minui 02 : ler du crime».
Le crime en question ? Un vol de quelques boissons et de yaourts qui depuis ont été restitués au restaurant… car la police, particulièrement méticuleuse dans cette enquête, a noté que les yaourts se périmaient le 15 janvier prochain. Les produits périssables ont donc été rendus à leur propriétaire.
Les deux jeunes prévenus ne seront pas jugés tout de suite, leurs avocates demandent un délai. Pour préparer leur défense, obtenir des expertises psychiatriques, et surtout faire en sorte qu’ils soient présentables. L’un d’eux, fragile psychologiquement, s’est inondé dans le véhicule de police. Me Cooper, son avocate, a dû aller acheter un short en catastrophe à Jumbo pour que la cour ne profite pas des odeurs.
Le tribunal doit donc décider s’il faut les envoyer à Majicavo ou laisser en liberté en attendant leur comparution.
Comment s’en sortir
Le premier, avec son short tout neuf a, semble-t-il, bel et bien mangé des yaourts mais il n’aurait pas participé au vol, c’est en tout cas ce qu’il prétend. Agé de 22 ans, il a toujours vécu à Mayotte mais aujourd’hui, il est bien seul. Son père est parti à La Réunion et sa mère, ses frères et ses sœurs sont retournés en grande Comore. Il vit chez sa tante mais elle se plaint de son comportement. D’ailleurs, il n’est plus chez elle depuis 2 semaines et elle ne veut pas le reprendre.
Quant au second, il nie les faits. Il a tout juste 20 ans et vit à Mayotte depuis 2010. Il est arrivé avec sa famille du Congo via les Comores mais le voyage a été dramatique. Entre Anjouan et Mayotte, le kwassa s’est reversé et sa mère y a laissé la vie. Deux de ses frères et sœurs sont placés dans des familles mais ils ont 15 et 17 ans et seront bientôt à sa charge, lui, l’aîné qui vit pourtant une vie d’errance.
Il est sorti de prison en février 2013 après avoir purgé 6 mois, déjà pour vol aggravé et port d’arme. Pourtant, la petite délinquance, ce n’est visiblement pas le but de sa vie. Il a obtenu un récépissé de réfugié, il s’est rendu à plusieurs rendez-vous à Pôle emploi, il serait même sur le point de décrocher un boulot… pour lui permettre de subvenir à ses besoins et à ceux de ses frères et sœurs.
Pas de prise en charge
Problème : il est sous contrôle judiciaire et depuis très récemment. Le 4 décembre dernier, le juge d’application des peines l’a laissé en liberté avant la date d’un autre procès. Il doit revenir dès mercredi au tribunal pour répondre du vol de quelques boissons à l’association Agepac.
«Ce sont des histoires extrêmement douloureuses, plaide Me Gaem, l’avocate du second. On serait en métropole, dans l’autre France, ils seraient pris en charge. Aujourd’hui, ils n’ont rien et finalement, pour un SDF, vous n’avez pas beaucoup de mention au casier judiciaire», argumente-t-elle.
Les deux jeunes sont laissés en liberté avec un contrôle judiciaire auquel ils doivent se conformer et une foule d’autres obligations. Avant l’affaire des yaourts, le tribunal aura donc à traiter de l’affaire des sodas de l’Agepac, ou comment manger et boire quand on n’a simplement rien.
RR
Le Journal de Mayotte