Tout le monde n’a pas le recul nécessaire pour appréhender les caricatures de Charlie Hebdo. C’est pourquoi Caritas France avait décidé d’éduquer ses jeunes à l’esprit critique. Un long chemin…
Ce jeudi matin, Caritas France-Secours Catholique proposait un échange entre une trentaine de jeunes de 16 à 25 ans scolarisés dans son centre Nyamba, et des représentants religieux, en l’occurrence le foundi Mmadi Youssouf et le Père Vincent Ngoie Mitenga, curé de la paroisse de Mamoudzou.
Un dialogue long à démarrer. Une prise de parole pas facile pour des jeunes qui ont plus de facilité en shimaoré (c’est d’ailleurs dans cette langue que se poursuivra l’échange), mais surtout une méconnaissance des faits et du média qu’est Charlie Hebdo. Une jeune fille tenait bien un flyer « Je suis Charlie », mais sans grande conviction, « on l’a vu à la télé », convient-elle.
C’est principalement sur l’explication du mot « caricature » que Christophe Vénien, le délégué de Caritas France-Secours Catholique, s’arrêtait, en faisant circuler celle du Christ et de la Cène, « Un dîner de cons », titrait alors le Journal.
A ce point du débat, la condamnation est unanime chez les jeunes, « on ne peut pas tuer les gens à cause de Dieu », un autre lance « les tueurs ont annoncé vouloir défendre les musulmans, mais le prophète a dit qu’on ne peut pas tuer. Ce ne sont pas des vrais musulmans ».
Le choc de la caricature
Pour évoquer la liberté d’expression, le délégué de l’association humanitaire joue la provoc’ : « si je vous dis ‘j’aime pas les comoriens’, il ne se passera rien. Si je le dis en Grande Comore, je ne suis pas sûr d’avoir la même liberté. C’est un exemple ! », nuance-t-il, mais le rire général valait compréhension.
Surtout que, rappelle-t-il, « il y a plusieurs siècles, les chrétiens étaient moins tolérants, et tuaient au nom de Dieu ».
Lors du débat en shimaoré, menée par l’animatrice Maria Saïd-Salim, la parole prenait de la vitesse, et du volume aussi. Car ils découvraient une des caricatures à l’origine de la tuerie, celle d’un Mahomet se prenant la tête entre les mains en se lamentant « c’est dur d’être aimé par des cons ! ». Les propos fusaient alors : « on ne doit pas dessiner le prophète comme ça ! », alors qu’un autre lançait « c’est normal qu’ils soient partis les tuer ! Les dessinateurs les ont insultés, ils n’auraient jamais été jugés par un tribunal sinon ! ».
Le recul qui ne tue pas
Le débat est agité, « s’ils étaient de vrais musulmans, ils n’auraient jamais tiré. Ça n’est pas à nous de juger, c’est Dieu qui juge », tranche Anzam. Une journaliste qui assiste au débat témoigne des propos de beaucoup de musulmans à Mayotte qui ne condamnent pas ces actes terroristes.
C’est surtout aux dessinateurs qu’ils en veulent, car lorsque Christophe Vénien parle de la fusillade contre les juifs de l’épicerie Casher, la condamnation est unanime, « à chacun sa religion ». Le délégué revenait sur la caricature du Christ lors du « dîner de cons » : « je pourrais dire qu’elle m’offense, mais elle s’adresse aux intégristes catholiques, je ne me sens pas visé. C’est la même chose pour la caricature de Mahomet, ‘aimé par des cons’ ».
Le Père Vincent intervient pour parler de tolérance, « il ne faut pas arrêter sa lecture au premier degré ». C’est bien la difficulté de l’exercice, tout le monde n’ayant pas les mêmes clefs de lecture. Tandis que Mmadi Youssouf met en garde : « la majorité des musulmans connaissent les piliers de l’islam, mais peu les piliers de la foi. Ça n’est pas parce que nos parents nous ont voulus musulmans que nous ne devons pas faire d’efforts pour s’approprier la religion. Ne soyez pas musulman par héritage ! ».
Connaître sa religion
C’est en effet ce qui est demandé par plusieurs imams, de la mosquée de Drancy ou du porte parole du Grand Cadi de Mayotte. Car si les prêtres ont suivi des études théologiques les aidant dans ce genre de circonstances, les imams ont besoin d’approfondir un apprentissage souvent mécanique du Coran.
La présence des foundis s’avère utile par les métaphores qu’ils transmettaient : « à l’époque du prophète, un bédouin entre dans la mosquée en sa présence. Il urine. Une provocation. Alors que tout le monde veut le chasser, le prophète demande qu’on le laisse terminer. Il s’approche alors de l’homme en lui indiquant qu’il s’agit d’un lieu de culte, d’un lieu de paix. Ce dernier a alors décidé de se convertir à l’islam qu’il a vu comme une religion de paix ».
Le but était d’interpeller les jeunes, les inciter à avoir un esprit critique, « à réfléchir par eux-mêmes », indiquait Christophe Vénien. Une pierre vient d’être apportée, elle en appelle beaucoup d’autres, « ce seront sans doute des réflexions par petits groupes ».
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte