Après plusieurs débats qui se sont tenus en 2014 sur l’île appelant à une laïcité aménagée, la parole est au vice-rectorat qui a pour mission d’appliquer les directives du gouvernement. Elles dépendront surtout de la capacité des enseignants à aborder le sujet. Un groupe vient d’être constitué.
Le vice-rectorat de Mayotte a choisi de prendre le problème de la laïcité à bras le corps, au delà donc d’une simple transcription de la Grande mobilisation nationale de l’école pour les valeurs de la République.
L’expérience a montré qu’on peut légitimement craindre une coquille vide, une sorte de Plan, de Contrat ou autre convention, qui prendrait soin de réunir les plus belles pensées sur un « vivre-ensemble-que-tout-le-monde-nous-envie » et, proche d’un grand placard, permettrait de s’offrir une bonne conscience à moindre frais. Et un possible avancement de carrière.
Car à la fin, l’expérience ne montre-t-elle pas que l’école de Mayotte se vit avec bonheur et que les problèmes sont davantage dus à un niveau scolaire insuffisant que d’un foulard un peu fermé, ou d’une croix baladeuse.
Les deux hommes qui ont été choisis pour mener à bien la tâche de porter la bonne nouvelle… de la laïcité, voient bien sûr les choses autrement. Et, s’ils arrivent au bout de leur ambition, elle pourrait être bénéfique pour la scolarité elle-même.
Le référent laïcité nommé par le vice-rectorat à la mi-janvier s’appelle Louis Estienne. Ce n’est pas son statut de prof d’histoire-géo, avec les religions au programme qui a fait la différence mais son appétence pour le sujet, lui qui a travaillé pendant plusieurs années dans les lycées français à l’étranger dans lesquels s’appliquaient la loi du pays. Sa mission l’amène à intervenir dans les établissements scolaires en cas de tension, « sur des opinions religieuses, politiques, économiques et même philosophiques ».
Apaisement des relations au sein de l’école
Il devra partager son expertise au sein d’une commission, mais surtout, « former les enseignants avant la fin de l’année scolaire », parce que l’on ne parle bien que de ce qu’on comprend parfaitement. Il précise sa vision de la laïcité, « la liberté laissée à chacun de croire ou ne pas croire », ce qui devrait permettre « de fabriquer du commun, du vivre ensemble ».
Parallèlement, Thierry Wallet, proviseur adjoint au lycée du Nord à Acoua, pilote un groupe de travail sur ce thème, dans le cadre du plan académique des personnels. Il a travaillé pendant 15 ans dans les quartiers nord de Marseille ce qui ne semble pas avoir altéré son enthousiasme : « c’est à l’initiative du maire qu’avait été institué dans cette ville un regroupement inter-cultuel, Chrétiens, Juifs, Musulmans… et ça fonctionne ».
Un groupe hétérogène s’est réuni ce jeudi à Mayotte sous son impulsion, avec notamment le sénateur Thani Mohamed Solihi, le juge de Thévenar, l’avocat Mansour Kamardine, El Mamouni Mohamed Nassur, porte parole du grand cadi, le directeur de cabinet du préfet Jean-Pierre Frédéric, des représentants des parents d’élèves FCPE et des élèves, les maires d’Acoua, Chiconi et Chirongui, des proviseurs et principaux, chapeautés par la vice-recteur.
Le premier effet est « un apaisement des relations entre la communauté éducative et les usagers que sont les parents d’élèves et les élèves ». Le contact s’est noué autour de la Charte de la laïcité.
Mais est-elle vraiment possible à Mayotte où culture et religion sont tellement imbriquées ? « L’école n’est véritablement opérationnelle que depuis 30 ans à Mayotte, il faut donc être pédagogue. La première exigence est venue de la communauté mahoraise elle-même qui craignait qu’on soit laxiste sur la loi. Elle doit être expliquée pour qu’il n’y ait justement pas de schizophrénie, tout le monde a bien le droit d’avoir une religion ».
D’autant qu’il n’y a pas si longtemps, les enfants n’étaient pas scolarisés par peur d’une Évangélisation, « il ne faudrait pas d’un coup passer à une laïcité dure ». Car la constatation navrée d’un éloignement des jeunes du fait religieux est prégnante chez les adultes.
De leur côté, les directions d’établissement craignent « un phénomène de conditionnement de l’évolution de la femme, face aux jeunes filles à la tenue litigieuse ». Les élèves ne seraient pas timorés, « ils indiquent facilement si la tenue est religieuse ou pas ». Mais selon les professionnels, il y a plus à craindre d’une ghettoïsation de certains quartiers de Mayotte sous l’effet de la pauvreté.
Les difficultés ne manquent pas, « ce sera surtout d’arriver à produire un haut niveau de formation pour les enseignants ». On l’a vu avec le « dérapage » d’un professeur qui a voulu sensibiliser ses élèves sur la radicalisation, au moyen d’une vidéo… radicale, la formation est indispensable, « mais il faut savoir soi-même où on en est ».
Si l’analyse d’images caricaturées n’est pas l’objet de la mission, elle pourra être intégrée, « c’est dans le panel pédagogique de n’importe quel enseignant ».
Les spécificités du territoire à concilier avec la loi d’un département, vont certainement s’inviter au programme dont ils font déjà la synthèse : « on passerait à côté de tout si on ne respectait ni la loi, ni la culture à Mayotte. Le but n’est pas de faire des laïcards ! »
La ligne de mire est pointée sur le 9 décembre 2015, première journée nationale de la laïcité, car date anniversaire de la loi de 1905 : « Nous allons être observés à Mayotte, nous devons la réussir. » Un moyen pour faire passer des propositions inédites sur les valeurs d’un territoire hors norme ?
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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