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Sarah Mouhoussoune, ou comment réussir un binôme
Alors que treize femmes vont occuper les fauteuils de conseillers généraux, le JDM est allé à la rencontre de celle qui a initié le mouvement, et qui a même formé avec Saïd Omar Oili, le premier binôme de l’histoire du département. Sarah Mouhoussoune revient notamment sur la fameuse bascule de la majorité en 2012.
C’est une « précurseur », à la manière de ce mot qui n’arrive pas à se féminiser… Mais si Sarah Mouhoussoune fut la première femme élue, à endosser le vêtement de conseiller général dans un milieu 100% masculin, aucune comparaison avec l’allure cow-boy de Calamity Jane : bijoux assortis aux tenues, maquillée, elle nous reçoit dans son bureau aux murs clairs, et à la climatisation poussée.
La petite Sarah Boudra voit le jour le 20 août 1956 à Hajangua, commune de Dembéni, en pleine campagne, il n’y avait ni eau ni électricité à cette époque pas si lointaine. Sa mère ne travaille pas, et son père, avec son salaire d’instituteur, arrive à nourrir la fratrie de 11 enfants, 7 filles et 4 garçons dont l’un est décédé.
Lors du transfert de la capitale de Dzaoudzi à Moroni, la famille part comme beaucoup d’autres s’installer à Grande Comore. C’est là, à l’école primaire de La coulée de lave », qu’elle sera scolarisée, puis au collège de Moroni. La scission des Comores en 1975 oblige la famille a revenir à Mayotte. Sarah et son frère seront hébergés chez le sénateur Henry.
Le Bac G et l’université d’anglais, ce sera à Saint Denis (La Réunion), puis suivent deux premières années de l’école d’infirmière avant de craquer sur une toilette mortuaire… Elle s’orientera sur les conseils de son mari vers l’Institut d’administration des entreprises. Avant de prendre son service de nuit comme infirmier, il l’attend au Barachois avec leurs trois enfants pendant qu’elle suit ses cours du soir. Elle passe le Diplôme de perfectionnement Administration des entreprises.
Rentrée à Mayotte en 1987, elle travaille à la Smart (manutention portuaire), à l’imprimerie Grafitec de Kwale, avant d’apprendre qu’un poste de greffière se libère au cabinet du juge d’instruction. Sarah Mouhoussoune va alors participer au grand chantier de la mise au norme de l’état civil.
Elue conseillère générale de Dembéni en 2008, elle passe le concours de greffière pour ne plus être agent du conseil général, et continuer à exercer. Après sa formation à l’école des greffes de Dijon, et son passage au tribunal correctionnel et au TSA, elle choisit pour des raisons d’emploi du temps chargé, de revenir comme greffière auprès du procureur, en charge de l’Etat civil.
Le JDM : « Sur quelles motivations repose votre combat politique ? »
Sarah Mouhoussoune : « ‘Engage-toi !’, m’avait conseillé le substitut du procureur pour lequel je travaillais, Xavier Hubert, d’ailleurs aujourd’hui conseiller juridique d’Emmanuel Macron. Un peu timide, bien que le syndicalisme chez FO qui m’avait porté à la présidence de la Sécurité sociale en 2003, m’ait aidé, je me présente aux sénatoriales de 2004. Sans appui financier ou politique, je m’aperçois que c’est difficile mais je réalise un score supérieur à Jean-François Hory ! Je commence à comprendre les avertissements de Younoussa Bamana, ami de mon père qui parlait d’un monde politique fait de mensonges, sans pitié. Il m’incite quand même à aller au second tour avec une recommandation : « respecte-toi pour que les gens te respectent »
Je ne suis pas élue, mais Younoussa me conseille de me rapprocher de Saïd Omar Oili, ‘il sera un grand homme », disait-il.
Il est effectivement élu président du conseil général en 2004, et lorsque l’UMP Attoumani Douchina lui succède en 2008, nous réalisons que nous formons une force, résumé par Soiderdine Madi en Nema, Nouvel élan pour Mayotte, proche du parti socialiste. Je suis moi-même élue conseillère générale de Dembéni.
En 2011, ce fut tendu : l’assemblée devait revenir à Ibrahimn Aboubacar, mais il fallait trouver un 10ème conseiller pour être majoritaire. Mirhane Ousseni étant injoignable, c’est Daniel Zaïdani qui nous rejoindra au dernier moment en demandant la présidence.
Vous étiez en charge du social au Conseil général. Quelles ont été vos actions ?
Sarah Mouhoussoune : « La mise en place du RSA d’abord sur laquelle nous avons travaillé très rapidement avec le sous-préfet Gregory Kromwell. Nous n’avons pas recruté, mais formé les agents sur place. Un RSA qui a peu de succès à Mayotte, ce n’est pourtant pas faute d’avoir expliqué qu’en dépit de la minime somme d’argent, il faut s’inscrire pour l’insertion en emploi que permet ce dispositif. Il faut communiquer sous ce biais.
J’avais ensuite deux gros dossiers, les crèches et l’installation d’une antenne de l’Institut régional du Travail Social, qui aurait permis de ne plus dépendre d’un quota de travailleurs sociaux sur l’île. Ils auraient pu se former en alternance à l’université, et ainsi accompagner les associations. Une mission était même venue… mais en 2012, nous avons basculé dans l’opposition, les dossiers sont restés en suspens.
Que s’est-il passé exactement en 2012 ? Y a-t-il eu un putsch contre Daniel Zaïdani ?
Sarah Mouhoussoune : « J’étais très proche de Daniel Zaïdani que j’ai constamment soutenu dès qu’il a été élu. Mais 2012, c’est aussi l’année des législatives. Nous sommes plusieurs conseillers généraux à être candidats, Saïd Omar Oili, Jacques-Martial Henry, Ibrahim Aboubacar et moi. Personne ne soutient Said Omar Oli, pas même Daniel Zaïdani, et ma candidature gêne Ibrahim Aboubacar qui sera élu. Contrairement aux attentes, je réalise un bon score, 10%.
S’ensuit le vote du budget du département. J’avertis que s’il ne consacre pas une bonne part au social, je ne le voterai pas. Ils avaient déjà tué l’APPROSASOMA, l’APREDEMA et ne finançaient que des associations de danses et de chants. Contre la promesse de 700 000 euros sur l’action sociale, on vote le budget. Parallèlement, je demande la sécurisation du lycée de Tsararano et le rond point de desserte d’Iloni. Après m’avoir assuré de son inscription au Contrat de projet, Daniel Zaïdani considère que ce n’est pas prioritaire, et le retire. Il pensait apparemment que j’allais m’en servir comme des atouts dans ma campagne des législatives face à Ibrahim Aboubacar.
Je fais part à Said Omar Oili de mon intention de quitter cette majorité, il n’attendait que ça.
Mais vous avez formé un bloc avec l’opposition d’alors !
Sarah Mouhoussoune : « Nous avons été naïfs. Ahamed Attoumani Douchina, Jacques-Martial Henry et Zaïdou Tavanday nous incitent à faire bloc pour créer une nouvelle majorité. « Ton ennemi d’hier peut être ton ami d’aujourd’hui en politique », me glisse alors Said Omar Oili. Sans conviction, nous intégrons ce groupe prêt à défaire Zaïdani. Mais interviewé le soir sur Mayotte 1ère, Attoumani Douchina déclare ne jamais avoir eu l’intention de constituer de groupe d’opposition. Nous n’avons jamais réussi à le joindre ce soir là, pas plus que Jacques-Martial Henry. Ils avaient négocié leur retour dans la majorité… Said et moi sommes restés dans l’opposition avec l’UMP.
J’ai fini par réaliser mes programmes sur Dembéni avec l’aide du préfet Thomas Degos.
Pourquoi ne pas se représenter aux départementales au moment où l’assemblée s’ouvre aux femmes ?
Sarah Mouhoussoune : « Maintenant je peux le dire, ces élections ont été très mal préparées par le parti socialiste qui ne fait qu’accompagner des candidats sans organiser de projet en amont. Personne n’est venu me chercher, et je n’ai pas pu constituer un binôme valable dans mon parti. J’ai soutenu au premier tour le candidat de droite pour sa connaissance du terrain, avec un deal scellé avec la mairie : ils nous épaulent si on les appuie lors des municipales qui doivent être revotées (par décision du tribunal administratif, ndlr).
D’autre part, il n’y a plus de latitude au conseil général où les recettes sont fixes et réparties entre l’assainissement, l’emploi, etc. Il n’y a plus de place pour de nouveaux projets.
Etait-ce difficile d’être une femme élue ?
Sarah Mouhoussoune : « Non, car je me suis imposée immédiatement et j’avais l’expérience de la présidence de la sécurité sociale où nous avions mené le chantier de l’assurance maladie ».
Vous et Saïd Omar Oili avez formé un binôme avant l’heure. Comment gériez-vous les désaccords ?
Sarah Mouhoussoune : « Oui, nous avons formé un bon binôme. En cas de désaccords, nous travaillions sur les rapports et cherchions la bonne logique. Nous avons aussi demandé l’intervention d’experts sur les décisions importantes, par exemple les directeurs en matière de sécurité sociale ou d’impôts. Ensuite, nous parlions d’une seule voix en séance ».
Trois questions plus personnelles… Avez-vous eu un mentor dans votre vie ?
Sarah Mouhoussoune : « Oui, mon père. Ils nous réveillait parfois à 4 heures du matin pour nous faire réviser ‘parce que le matin, les esprits sont éveillés’. Il disait toujours que sa transmission patrimoniale, ce n’était pas la construction d’une maison, mais l’instruction ».
Un livre ?
Sarah Mouhoussoune : « Je ne lis pas beaucoup mais j’apprecie Agatha Christie, notamment ‘Les dix petits nègres’ ».
Un morceau de musique ?
Sarah Mouhoussoune : « J’aime beaucoup Cesària Evora ».
L’ex-conseillère générale de Dembéni compte se mettre en veille « pendant 6 ans », le durée de la mandature des élus départementaux, sans perdre totalement de vue la politique.
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
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