Le suspens n’était pas là où on l’attendait en cette dense matinée d’un jeudi de troisième tour d’élection départementale. Tout semblait se jouer encore en cours de séance autour de l’élection du président à l’unanimité.
Bien sûr, le syndrome de 2011 était présent dans tous les esprits et le quorum nécessaire à l’élection, 17 conseillers au minimum, n’était toujours pas atteint deux heures après le début théorique de la séance, signe que des accords n’avaient pas abouti. L’absence des trois ténors Daniel Zaïdani (MDM, Mouvement pour le développement de Mayotte, centre), président sortant, Ahamed Attoumani Douchina (UDI), son prédécesseur à ce poste, et Chihabouddine Ben Youssouf (MDM) était remarquée.
Les trois hommes avaient tenté de dégager une majorité centre droite, mais en vain. Il leur restait donc une dernière cartouche sur laquelle il fallait l’accord de tous les binômes : ne présenter aucun candidat d’opposition, contre l’attribution de vice-présidences. C’est ce qui se produisait avec donc deux heures de retard, et l’élection de Soibahadine Ibrahim Ramadani (UMP), à l’unanimité. « C’est une mascarade !», s’emporte Moula Issouf Madi, porte-parole du PS qui critique le retard déplacé, les dernières tractations, et parle de déni à la démocratie. Il avait appelé à monter une opposition constructive.
Mayotte, certainement le seul département à élire son président à l’unanimité. « C’est sûrement l’élu le moins clivant que nous venons d’élire. Nous avons besoin de cette unanimité et de la mobilisation générale pour défendre le document cadre 2025», estime Noussoura Soulaimana, ex-président de la CFE-CGC, qui appelle à faire évoluer le scrutin de départemental à régional, « avec uniquement des scrutins de liste ».
Une unité de façade
Une unanimité qui fait rugir Jacques-Martial Henry : «Nous nous retrouvons dans une situation où c’est la population qui va jouer le rôle d’opposition, puisque les élus refusent d’investir ce rôle ! Vive la démocratie à Mayotte», conclut-il, caustique.
De fait, le nouveau président du département annonçait que l’assemblée dans son entier intégrerait la commission permanente. «Une bonne chose pour les discussions des rapports», estime l’ancien conseiller Saïd Salimé, sur la même longueur d’onde que le conseiller de l’ex-président Zaïdani, I. Aboubacar, « les oppositions se manifesteront sur tel ou tel rapport».
Sous cette façade d’unité et de décor rose bonbon, ce sont d’autres négociations qui se jouent pendant le break d’une heure imposé par la loi : les vice-présidences ne sont pas jouées pour Ahamed Attoumani Douchina qui, avec ses deux partenaires Zaïdani et Chihabouddine, mise sur le donnant-donnant : «nous avons tendu la main tout à l’heure en retirant le candidat d’opposition, nous attendons un retour.»
Faiseur de rois
Il ne viendra pas. Car un quatrième homme a déjà tiré toutes les ficelles : Saïd Omar Oili (président du Nema, apparenté PS), maire de Dzaoudzi-Labattoir, a réussi le tour de force, avec seulement un binôme Nema élu dans son canton, a concrétiser une majorité UMP-Centre gauche. C’est ce qu’il explique au JDM : «Au lendemain du deuxième tour, les UMP sont venus me voir, mais jamais les MDM. On a donc constitué notre majorité. Avec une balle, j’ai flingué 3 éléphants!» lance-t-il, fier de lui.
Daniel Zaïdani doit encore se mordre les doigts d’avoir préféré le candidat et futur député Boinali Saïd Toumbou qui se présentait aux dernières législatives contre Saïd Omar Oili. Ce dernier ne le lui aura jamais pardonné, «mais je les aurais accueillis à bras ouverts s’il étaient venus me voir cette semaine», répond le nouveau faiseur de rois, un sourire en coin. Leur alliance UMP-Nema-DVD comprend 16 conseillers selon lui.
De son côté, Ahamed Attoumani Douchina, quoique déçu, annonce que c’est le travail qui va reprendre le dessus, «pour être davantage force de proposition que d’opposition». Daniel Zaïdani de son côté quittait rapidement l’hémicycle. Celui qui fut le plus jeune président de département peut encore compter sur sa grande popularité et devrait avoir encore un bel avenir politique devant lui.
Comme pour marquer un signal fort, c’est par la lecture de la charte de l’élu local, que Soibahadine Ibrahim Ramadani commence sa mandature : sur le mode des dix commandements, elle rappelle que de tout intérêt personnel le conseiller départemental se gardera, que de son assiduité il se préoccupera et qu’en tant qu’élu au suffrage universel, de ses actes il répondra…
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte