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Son parcours, Nadham Youssouf ne l’avait jamais imaginé à Mayotte. Il est né à Helendje, en Grande Comore, le 18 juillet 1991, dans une famille de cultivateurs. Pas de gros cultivateurs, mais les ventes de manioc, de bananes et de légumes sont suffisantes pour faire vivre la petite famille de 3 garçons et une fille.
En l’absence de maternelle dans les écoles publiques, il commence sa scolarité en CP1. L’enseignement est en français.
Pour le collège, ses parents veulent le meilleur et paient en francs comoriens l’équivalent de 14 euros par mois l’école privée spécialisée en arabe et français à Ibnkhaldhoun (Moroni).
Un accident va faire basculer sa vie alors qu’il est en 3ème, le 10 mai 2010. Les cours se déroulent de 7h30 à 14h et, après la prière de midi, lui et des copains préparent un petit voulé. Le barbecue est habituellement coincé par de vieilles pièces de voitures. Mais l’une d’entre elle, un amortisseur, chauffe et explose. Il est gravement brûlé. Un taxi le dépose à l’hôpital El Maarouf à 15h. Il attend dans une chambre jusqu’à 18h, c’est le muezzin qui lui donne la notion de l’heure, avant qu’un infirmier le prenne en charge. Sa mère le ventile avec un morceau de tissu.
On enlève sa peau brûlée, sous anesthésie générale, pas assez longue puisqu’il se réveille avant la fin, la douleur est intenable. Son père court les pharmacies de Moroni pour trouver de la morphine. Ce sont ses parents qui achètent les pansements qu’il faut changer régulièrement.
Mais la gravité de son état impose son transfert au Centre Hospitalier de Mayotte. Il y arrive accompagné d’un médecin comorien. Pendant un mois et cinq jours, il va subir de multiples greffes, allongé en permanence sur son lit, ce qui nécessite ensuite une rééducation d’un an.
JDM : Votre réaction à votre arrivée à Mayotte ?
Nadham Youssouf : « Ce qui m’a marqué, c’était la chaleur de l’accueil à l’hôpital. Mais surtout, en Grande Comore, je ne voulais pas m’endormir le soir de peur de ne pas me réveiller. Je me disais que je ne pouvais pas survivre à cette douleur, tout en priant Dieu qu’il me garde en vie. A Mayotte, je n’avais plus ma mère à mes côtés, mais les médicaments me soulageaient énormément.
J’ai vécu pendant mon année de rééducation chez une amie comorienne. »
Difficile de rentrer en Grande Comore après ?
Nadham Youssouf : « J’avais perdu plus d’un an de scolarité, et le problème c’est qu’à Mayotte, j’avais dépassé l’âge légal pour être scolarisé. Après être passé au vice-rectorat, une tante m’a expliqué que le Secours Catholique-Caritas accueillait les jeunes. J’y ai suivi une année de cours, ce qui m’a apporté énormément. D’abord parce que je parlais mal le français, et ensuite par la compréhension de certaines matières qui étaient mieux expliquées.
On m’a ensuite proposé d’être bénévole, et j’ai fait de l’alphabétisation pour les mamans et les jeunes. Puis j’ai été nommé responsable du Centre Nymba. »
C’est-à-dire ?
Nadham Youssouf : « 120 jeunes de 16 à 25 ans et 12 bouenis y sont inscrits pour suivre des cours de maths et de français, de théâtre ou d’alphabétisation. Il faut organiser l’emploi du temps de chaque groupe, gérer les bénévoles. La première année, ça a été dur. Mon prédécesseur, Eric m’a formé sur toutes les tâches, y compris l’ordinateur, je l’appelle « mon mentor ». Il fallait ensuite que j’imprime ma marque. Maintenant, un respect mutuel s’est installé, avec les jeunes, et avec les bénévoles. »
Des difficultés ?
Nadham Youssouf : « Certains jeunes qui arrivent au Centre n’ont jamais été scolarisés, il faut leur expliquer le fonctionnement. Il peut également arriver qu’un jeune manque de respect. Dans ce cas, on lui explique que c’est une chance qu’il soit pris au Secours Catholique. Il y avait 350 demandes au début de l’année, et tous les jours des jeunes viennent frapper à notre porte. On lui explique qu’on veut l’aider, mais avec sa participation, sinon on prendra quelqu’un d’autre. D’ailleurs, c’est ce qui m’énerve le plus ici à Mayotte. Quand je vois des jeunes qui peuvent être scolarisés dans les collèges ou les lycées et qui n’y vont pas ! Alors qu’en Grande Comore, les écoles publiques sont souvent fermées pour cause de grève, ce qui incite les parents à se ruiner pour payer une école privée !
Beaucoup de monde là-bas aimerait avoir cette chance, ça me révolte ! »
Comment vivez-vous à Mayotte ? Vous avez des papiers ?
Nadham Youssouf : « Entre mon hospitalisation et maintenant, non. Mais la préfecture m’a informé le 4 avril dernier que ma demande de séjour était acceptée, je devrais recevoir une carte d’un an. Ça me permettra de postuler pour un logement, car ma propriétaire veut récupérer le banga que je loue.
Sinon, c’est un ancien couple de bénévole, Daniel et Martine, qui m’aident financièrement depuis la métropole »
Depuis combien de temps vous n’avez pas vu vos parents ?
Nadham Youssouf : « Ça a fait 5 ans hier ! Depuis mon évacuation pour Mayotte. Je leur téléphone très souvent. »
Vous avez des projets ?
Nadham Youssouf : « Oui, je voudrais être aide-soignant. Au collège, je voulais être médecin ou infirmier, ce que j’ai vécu continue à me motiver d’entrer dans cette voie. Je n’ai malheureusement pas pu passer mon Bac. Donc, dès que j’aurais reçu ma carte de la préfecture, je m’inscrirais à la Mission locale pour une remise à niveau, puis à l’ACE pour préparer le concours d’entrée qui se tiendra dans deux ans. Un bon niveau est exigé, 18 de moyenne, mais je suis motivé. Ensuite, je tenterai infirmier.
Je compte passer le BAFA également. Parallèlement à ces études, je dois trouver un emploi qui me permette de subvenir à mes besoins.
Le Secours Catholique m’a beaucoup apporté, et je continue à y apprendre chaque jour.
Je souhaite préciser que nous cherchons des bénévoles*».
Nadhame Youssouf a notamment accueilli la ministre Pau-Langevin lors de son passage à Mayotte pour lui présenter les différentes activités du centre Nyamba.
Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
*Pour contacter le centre : 0269.62.10.10
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