Quelques heures avant son arrivée à Mayotte, Manuel Valls répond aux questions du JDM. Santé, sécurité, immigration, code du travail et bien entendu Mayotte 2025, le Premier ministre défend la politique de son gouvernement dans notre département et se projette dans ce que sera Mayotte dans 10 ans.
Le JDM. Monsieur le Premier ministre, vous venez à Mayotte signer le document Mayotte 2025, un nouveau pacte qui fixe les perspectives à 10 ans pour notre département. Quels sont les priorités retenues, le cap privilégié ?
Manuel Valls. J’ai beaucoup de plaisir à venir à Mayotte pour rencontrer la population, mieux comprendre encore les défis de taille auxquels l’île doit faire face. Mayotte 2025 veut y répondre. Cette démarche lancée par le Président de la République, lors de sa visite en août 2014, implique aussi bien l’Etat que les élus, les acteurs socioéconomiques ou la société civile. Faire que Mayotte soit pleinement intégrée à la République exige que les pouvoirs publics cherchent par tous les moyens une égalité réelle et non pas une «égalité sur le papier». C’est tout le travail de mon gouvernement pour les outre-mer. Les besoins de Mayotte sont considérables. La formation et l’éducation, le développement économique jouent un rôle fondamental.
Le JDM. Ces choix seront, pour beaucoup, financés par la combinaison des fonds européens et du CPER (Contrat de plan Etat-Région que vous allez également signer). On parle de plusieurs centaines de millions d’euros sur 5 ans. Est-ce, enfin, le moment du grand rattrapage pour notre île, Française depuis 1841 ?
Manuel Valls. Je le crois. Les moyens combinés CPER/fonds européens vont permettre de mobiliser, d’ici à 2020, près de 700 millions d’euros en faveur de l’investissement. L’Etat a consenti un effort très soutenu dans le contrat de plan de Mayotte : en moyenne 889€ par habitant, c’est-à-dire près de cinq fois la moyenne nationale. La solidarité en faveur du développement de Mayotte joue donc à plein régime.
Le JDM. Si ces sommes sont considérables, elles ne seront pourtant pas suffisantes pour venir à bout de certains chantiers colossaux. On peut, par exemple, regretter que l’assainissement ne soit financé qu’au tiers de ses besoins par le CPER pour les 5 ans à venir …
Manuel Valls. L’assainissement est effectivement un immense chantier, ne nous le cachons pas. Il s’agit d’un défi pour l’Etat, pour le Département et les communes. Celles-ci devront d’ailleurs participer aux efforts financiers. L’Etat les accompagnera dans une gestion plus rigoureuse de leurs finances, leur permettant ainsi de dégager des moyens supplémentaires.
Le JDM. Dans ce travail pour fixer le rythme vers le droit commun, jusqu’à quand le Code du travail pourra-t-il rester dérogatoire ?
Manuel Valls. Il faut faire attention à ne pas transposer d’un seul bloc et de manière trop brutale des normes juridiques qui pourraient susciter des difficultés importantes pour les entreprises et les salariés. Derrière le Code du travail, il y a des textes à respecter, des cotisations à prélever, des droits et des devoirs qui ne sont pas toujours bien appréhendés. C’est pourquoi le document Mayotte 2025 prévoit une transposition progressive du Code du travail, le cas échéant avec les adaptations nécessaires. Une habilitation à procéder à cet alignement est d’ailleurs incluse dans le projet de loi de modernisation du droit de l’outre-mer.
Le JDM. Les questions de santé préoccupent de plus en plus les Mahorais, vous allez d’ailleurs poser la première pierre du futur hôpital de Petite Terre. Depuis le début de l’année, le CHM fait face à un afflux inédit de patients avec un système qui fonctionne, plus que jamais, en grande tension. La mise en place de l’AME (l’aide médicale de l’État) ne permettrait-elle pas de faire baisser la pression sur l’hôpital tout en favorisant l’émergence, tant attendue, d’une médecine libérale ?
Manuel Valls. Avec l’afflux de patients étrangers provenant de l’Union des Comores, il y a clairement un risque de saturation de ses services. Aujourd’hui, le Centre Hospitalier de Mayotte pallie les carences de la PMI pour ce qui est du suivi des grossesses, de la mère et de l’enfant. L’implication annoncée du Conseil départemental est une perspective qu’il faut concrétiser. Aussi, l’instauration de l’AME ne semble pas être une solution adaptée. Elle pourrait même être contre-productive compte tenu de la tension migratoire déjà très forte. Il faut trouver une solution pérenne et réaliste pour recouvrer les créances du Centre hospitalier de Mayotte en matière de soins dispensés aux non assurés sociaux.
Le JDM. Pour la santé comme pour de nombreuses questions à Mayotte, tout développement est contraint par l’immigration illégale. Le sentiment, très largement partagé par la population, est l’absence de volonté de l’Etat de s’attaquer réellement à la question par son incapacité à contrôler le bras de mer frontière avec les Comores mais aussi en ne parvenant pas à faire avancer la question sur le terrain diplomatique. Avez-vous une approche nouvelle pour tenter de résoudre cette question ?
Manuel Valls. Regardons la situation avec lucidité : nous avons déployé beaucoup de moyens, matériels et humains, dans la lutte contre l’immigration clandestine. Pour autant, malgré 20 000 reconduites à la frontière par an, la situation n’est toujours pas satisfaisante. Il faut que nous puissions avoir un dialogue avec l’Union des Comores pour identifier des solutions globales associant maîtrise des flux migratoires et politiques de développement. L’attachement des Mahorais à la République ne doit pas empêcher d’envisager une coopération régionale plus dynamique et plus efficace.
Le JDM. L’île traverse une crise sécuritaire lourde, avec des chiffres sur la zone police (Mamoudzou) qui évoquent ceux de région parisienne. Dans un territoire où les châtiments corporels étaient encore généralisés il y a quelques années, la réponse judiciaire est souvent incomprise, particulièrement en ce qui concerne les mineurs. Alors que l’insécurité (réelle) est devenue notre quotidien, comment l’Etat peut-il inverser la tendance pour garantir, à nouveau, la sécurité des biens et des personnes ?
Manuel Valls. Je sais que la délinquance, l’insécurité sont des préoccupations lourdes des Mahorais. Les cambriolages à répétition, notamment, empoisonnent la vie quotidienne de nos concitoyens. L’Etat est pleinement mobilisé mais renverser la tendance ne se fera pas en un jour. Il faut davantage insister sur la prévention que par le passé. Désormais, l’ensemble des communes est en géographie prioritaire et elles ont toutes mis en place un comité local de sécurité et de prévention de la délinquance. Obtenir des résultats passe par une implication de tous les acteurs : les forces de l’ordre bien sûr, mais aussi plus largement les élus, les acteurs sociaux, l’éducation, les parents, les associations. Les choses bougent, il faut continuer dans cette voie.
Le JDM. Vous venez à Mayotte en compagnie de la ministre de l’Education nationale. Ses services indiquent que 75,4 % des Mahorais de plus de 17 ans sont «handicapés par des difficultés de lecture», un chiffre qui s’aggrave chaque année. N’est-ce pas, là encore, un échec de l’Etat et comment y répondre pour tous les âges ?
Manuel Valls. L’Education nationale a réalisé des efforts extraordinaires. Il faut regarder le chemin parcouru depuis 1976 pour s’en rendre compte ! On est passé de quelques centaines d’élèves dans le secteur primaire à plus de 87 000 élèves scolarisés. Il y a également un centre universitaire. Il ne faut pas l’oublier. Nous poursuivrons cette politique en maintenant nos efforts en faveur des constructions scolaires pour mettre fin au système de rotation qui perdure depuis trop longtemps. 14 millions l’année dernière, 10 millions cette année. Des centaines de classes sortiront de terre ou seront rénovées. 14 réfectoires seront réalisés. Il y a aussi un effort porté sur les langues pour faire de la maîtrise du français, des langues internationales mais aussi locales comme le Shibushi ou le Shimaoré, un facteur de réussite. Quant à la formation du personnel, nous devons favoriser l’accompagnement et l’appui aux contractuels qui représentent plus de 25 % des effectifs.
Le JDM. Mayotte sera-t-elle soumise à l’évaluation à l’entrée du CE2 et les résultats seront-ils suivis d’effets ?
Manuel Valls. Oui, l’évaluation CE2 sera menée à Mayotte comme sur tout le territoire national.
Le JDM. Vous avez suivi puis tranché les orientations du document Mayotte 2025. Alors que notre quotidien est souvent fait de crises et de soubresauts liés à un véritable changement d’époque, comment voyez-vous la société mahoraise et Mayotte dans la France à l’horizon des 10 ans ?
Manuel Valls. Je vois une société mahoraise qui a su relever des défis compliqués, saisi toutes les opportunités de développement et qui s’épanouit dans le choix qu’elle a fait il y a presque 40 ans, c’est-à-dire celui de la République française. Je vois une société qui a su préserver son identité très forte, sa culture, sa langue, sa pratique d’un islam tolérant et modéré tout en entrant pleinement dans la modernité. Son développement économique consolidera sa cohésion sociale. Son activité et son attractivité stabiliseront le territoire. Mayotte 2025, ce n’est pas ce que l’Etat fera en 2025, c’est ce que chacun de nous fera d’ici 2025. Et pour tout dire, ce que nous avons déjà commencé à faire avec beaucoup de détermination.