Eloignement des enfants : le tribunal administratif rappelle la loi à l’Etat

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Le tribunal administratif annule une mesure d’éloignement d’un mineur rattaché arbitrairement à un adulte. Une mesure symbolique mais qui place une nouvelle fois l’Etat face à ses manquements.

La décision du Tribunal administratif implique une réorganisation rapide du marché
La décision du Tribunal administratif implique une réorganisation rapide du marché

Le tribunal administratif (TA) rappelle à l’Etat qu’expulser des enfants ne peut pas se faire n’importe comment. Dans un arrêt rendu ce mardi, il annule la décision d’expulsion d’un enfant arbitrairement rattaché à un adulte.

Ce dossier avait déjà fait parler de lui. L’histoire débute le 18 décembre 2014. Ce jour-là, un kwassa est intercepté dans les eaux mahoraises. A bord, parmi les passagers, un enfant est alors rattaché à un majeur, un adulte responsable censé exercer l’autorité parentale, comme le veut la loi. Problème : aucun lien de parenté n’est réellement établi entre le jeune et le majeur.

Ce dossier aurait pu passer inaperçu sauf qu’une avocate, Marjane Ghaem, est informée par la CIMADE, une association de solidarité avec les migrants, de l’éloignement imminent de cet enfant de 8 ans sans aucun représentant légal à ses côtés. Les parents du petit habitent à Mayotte avec des titres de séjour, et c’est pour les rejoindre qu’il a été placé sur le kwassa.

Le T.A. rappelle l’Etat à ses propres lois

Le 19 décembre, l’avocate engage deux procédures. La première en référé, pour obtenir un jugement d’urgence. A sa grande surprise, ce jugement confirme l’éloignement. L’enfant repart donc sous les yeux de ses deux parents avec l’escorte de force de l’ordre vers le centre de rétention administrative (CRA). Il est bel et bien expulsé.
Deux semaines plus tard, le juge des référés du Conseil d’Etat annulera cette décision.

La salle d'audience du tribunal administratif
La salle d’audience du tribunal administratif

La 2e procédure va prendre plus de temps. Il s’agit d’un jugement sur le fond dont l’avocate attend les motivations. Trois magistrats autour du président du T.A. Chemin examinent le dossier et ils tranchent. Dans leur décision rendue hier, non seulement l’enfant n’aurait pas dû être expulsé mais le tribunal se permet d’aller assez loin, rappelant les règles auxquelles l’Etat est censé se conformer en matière d’expulsion des mineurs.

Il y évoque un avis du Conseil d’Etat du 9 janvier 2015 ainsi que la Convention internationale des droits de l’enfant. Le TA rappelle donc l’Etat aux lois qu’il a voté et aux conventions internationales qu’il a signées et ratifiées.

Les conditions d’expulsions d’un mineur

Oui, un enfant mineur étranger peut être placé dans un centre de rétention, mais son expulsion est soumise à 3 conditions : doivent être clairement établis, son état civil, «la nature exacte des liens qu’il entretient avec» la personne à laquelle il est rattaché ainsi que «les conditions de sa prise en charge dans le lieu à destination duquel il est éloigné».

L'entrée du Centre de rétention administrative de Mayotte
L’entrée du Centre de rétention administrative de Mayotte

Ces trois contraintes sont loin d’être respectées. «Au mois de juin, on a eu le cas d’un adulte avec 6 enfants rattachés portants des noms différents. C’est une technique pour expulser le maximum de mineurs», explique Yohan Delhomme, de la CIMADE Mayotte. Pour l’association, le rattachement arbitraire est monnaie courante.
Quant à savoir quelle est la vie des enfants à leur arrivée à Anjouan, personne n’est vraiment en mesure de répondre.

Comment changer les choses ?

A Mayotte, l’Etat est-il en mesure de conformer à ses propres règles ? La question se heurte aux flux de migrants et donc aux moyens qu’il faudrait mettre en œuvre pour permettre une application de la loi. Une délégation de la CIMADE a rencontré le préfet et le commandant du CRA en juin. «Ils ont expliqué que c’est matériellement impossible. Ils ne peuvent pas vérifier le lien effectif entre un enfant et un adulte et ils ne peuvent donc pas respecter l’avis du Conseil d’Etat. C’est donc un aveu d’illégalité de la part de l’Etat. La politique répressive passe avant le respect des droits humains», regrette Yohan Delhomme.

Interception d'un kwassa par la police de l'air et aux frontières
Interception d’un kwassa par la police de l’air et aux frontières

Pour la CIMADE, seuls deux axes pourraient faire changer les choses. «Sur le court terme, il faudrait mettre les moyens à la préfecture pour permettre aux adultes présents à Mayotte d’avoir des papiers et donc de faciliter le regroupement familial par la voie légale. Cela éviterait de mettre des enfants en danger sur des kwassas, car de toute façon, ces enfants vont venir à Mayotte», relève Yohan Delhomme.

Mais du côté de la préfecture, le maintien des effectifs est déjà une victoire compte tenu des contraintes budgétaires nationales. «Là encore, on privilégie la répression lorsqu’on annonce 44 policiers de la PAF et 16 gendarmes supplémentaires», dénonce Yohan Delhomme.

Une mesure symbolique

Le 2e axe est à envisager à plus long terme, c’est celui du développement régional. «C’est absurde d’engager une île d’un archipel sur la voie du développement sans que les îles à 70km se développent. Tant qu’on aura un PIB à Mayotte 5 fois supérieur à l’île voisine, le flux ne s’interrompra pas.» Mais malheureusement, cet écart de richesse est une réalité qui est appelée à n’être, dans les années qui viennent, que grandissante.

La décision de TA est donc appelée à n’être que symbolique et ne devrait pas modifier les politiques mises en œuvre par l’Etat. D’autant que le nombre de procédures qui ont pu être engagées depuis le début de l’année pour faire respecter les lois concernant les migrants reste parfaitement anecdotique au regard de celui des expulsions.
RR
Le Journal de Mayotte

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