Le bananier qui cache la forêt

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La forêt est une richesse que nous perdons peu à peu au profit de certains qui en font une affaire personnelle : coupes d’arbre, défrichages… Ces clairières dévoilent des plantations agricoles sauvages que l’ONF et le département ont détruit ce jeudi, avec l’aide de la gendarmerie.

Vieux manguiers et espèces endémiques détruites par les cultivateurs sauvages
Vieux manguiers et espèces endémiques détruites par les cultivateurs sauvages

Il faut monter pendant plus d’une demi-heure les flancs de la première colline de la forêt Majimbini pour découvrir la première parcelle. Des bananiers qui ont été planté sur la pente, après avoir fait des coupes sombres dans les pans de forêt départementale. Donc illégalement. L’opération de ce jeudi avait été préparée conjointement par l’Office national des Forêts (ONF) pour l’Etat et le Service des Ressources Forestières qui dépend de la Direction de l’Agriculture, des Ressources terrestre et maritimes du département.

Le premier, représenté par Jean-Luc Leclerc était venu prêter main forte au second, le responsable bio-surveillance du département Sammy Mchami, qui était sur son propre terrain puisqu’en forêt départementale. Mayotte en compte prés de 4.000 hectares contre environ 1.400 hectares de forêt domaniale, relevant de l’Etat.

Il s’agissait tout autant de détruire les parcelles plantées souvent à 2 heures de toute habitation, et sur terrain accidenté, que d’interpeller et de verbaliser d’éventuels cultivateurs sauvages. Ce pourquoi les agents du département ne sont pas encore habilités, et qui expliquait la présence de la gendarmerie avec quatre agents du Peloton de surveillance et d’intervention (PSIG). L’un d’entre eux restera pour surveiller les véhicules, la Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (DAAF), également présente, ayant été échaudée par l’incendie d’un des leurs lors d’une opération anti-charbonnage…

La forêt, mère nourricière…

Jean-Luc Leclerc (ONF) et Sammy Mchami (DRTM)
Jean-Luc Leclerc (ONF) et Sammy Mchami (DRTM)

En route, nous croisons trois zébus non marqués, «à 3.000 euros le zébu, certains en profitent», glisse Jean-Luc Leclerc dans l’incertitude qu’une fourrière de zébu soit encore opérationnelle.

Si aucune borne n’est apparente, la forêt départementale est malgré tout dûment balisée, et le GPS se charge d’en signaler les frontières : «Majimbini est une des forêts les plus riches en essences forestières. Mais elle est bordée par de grosses communes que sont Mamoudzou, Koungou, Tsingoni, ce qui la rend très vulnérable», explique Sammy Mchami. En effet, une heure et demi de marche plus loin, ce sont des arbres endémiques qui gisent à terre, des barabaïs, «un bois très costaud, utilisé pour la construction», puis encore plus haut, de vieux manguiers ont fait les frais d’une plantation de manioc. Elle sera, elle aussi, arrachée.

Il faut dire qu’un bon pâturage de zébu mis en culture, ça rapporte : «5€ la petite boîte», précise Jean-Luc Leclerc. Mais il y a aussi le bois de chauffe, et les ventes des productions, «un régime de banane peut se vendre jusqu’à 50 euros», fait remarquer Sammy Mchami. Pendant ce temps, la forêt n’est plus là pour jouer son rôle de filtre de l’eau de pluie, et ne retient plus la terre qui se déverse dans le lagon. Et c’est tout l’écosystème, de l’insecte à la chauve-souris en passant par les nombreuses espèces d’oiseaux, qui en pâtit.

Des concessions jadis légales

Destruction méthodique de la bananeraie sauvage par les agents du département et de l'Etat
Destruction méthodique de la bananeraie sauvage par les agents du département et de l’Etat

Les interpellations sont compliquées, «ils se téléphonent entre eux dès qu’on arrive», et lorsque c’est le cas, les amendes sont souvent rentabilisées par ce commerce au black. Mais le département et l’ONF font aussi dans la prévention en parsemant leurs passages de pancartes rédigées en français et en arabe, mettant en garde les planteurs sauvages. «Et nous avons souvent des appels de gens qui avouent leur ignorance sur l’interdiction de ces pratiques».

Surtout qu’elles n’ont pas toujours été illégales : «certaines concessions ont été attribuées lorsque Mayotte était comorienne, et qui se transmettent de père en fils», commente Jean-Luc Leclerc. Difficile pour un propriétaire terrien d’y reconnaître ses petits.

Les agents de l’Etat et du département parcourront 7 parcelles sauvages ce jeudi matin. L’avant dernière a été plantées sur une pente à plus de 100%, «ils faut vraiment avoir envie de cultiver ici», glisse un membre de la petite troupe.

Mais c’est une plus grosse opération qui se prépare, explique Jean-Luc Leclerc : «un dossier préparé par l’ONF avec une cartographie de l’ensemble des forêts de l’île, qui est monté en préfecture, et qui devrait aussi interpeller les élus.» Et avec l’appui du PSIG qui commence à avoir de l’expérience pour avoir également détruit il y a quelques semaines 2.000 plants de bangué (cannabis)…

Une visite régulière des parcelles détruites est prévue par les agents du département. Avec un effectif de 15, bien maigre au regard des surfaces à contrôler.

Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte

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