C’est la deuxième fois en un mois que le Conseil des cadis de Mayotte est à ce point médiatisé. La petite salle de la rue du Collège qui reçoit tous les mardis les religieux, commence à ne plus suffire à l’actualité, ses flashs et ses caméras. Un partenariat avec le COSEM sur le radicalisme était en discussion.
Plusieurs points à l’ordre du jour de cet hebdomadaire Conseil cadial. Le premier concerne la sécurité… des cadis. De manière inattendue, ceux qui sont souvent vus comme les grands sages venant à bout des conflits intervillages, sont de moins en moins respectés.
Ils sont même victimes de violences, ainsi que témoigne le cadi Mahamoudou Hamada, le 1er adjoint du Grand Cadi : « J’avais été appelé dans le cadre d’une conciliation au sein d’un couple. Seule la femme était présente, mais quand son mari m’a vu dans la rue, il m’a menacé d’une gifle puis d’un couteau. »
Les hommes de Dieu en ont fait part au préfet qui a mis à leur disposition deux référents, un gendarme, le commandant Jean-Christophe Larroque, épaulé par un adjoint le commandant Bichon, et un Major de police, Saïd Halidi Moustafidou. Le cadi menacé indique qu’il va déposer plainte, la justice de la République prend ainsi le relai de la justice cadiale.
Combat conjoint contre radicalisme et insécurité
C’est encore la sécurité qui est mise en avant pour le deuxième point : une convention de partenariat entre le Conseil cadial et l’association COSEM, le Conseil de quartier pour la Sécurité de Mayotte, d’Elad Chakrina. L’avocat ayant eu un accident de scooter, la signature conjointe avec le Grand Cadi n’a pas été possible, mais le document a été longuement discuté.
De toute évidence, le COSEM change là de registre. Stade au-dessus de l’opération Voisins vigilants, il organise depuis 3 mois des patrouilles de nuit formées d’habitants solidaires dans la lutte contre les cambriolages et la délinquance.
Mais c’est franchement sur le fléau du radicalisme (le mot revient 8 fois) qu’est attendu ce partenariat cadis-COSEM. Replaçant le contexte, « les attentats commis à Paris le 13 novembre 2015 par des terroristes se revendiquant d’un fanatisme religieux », le document rappelle les 95% de musulmans modérés présents sur l’île et la nécessité « d’intervenir dans les mosquées et les villages de l’île, pour rappeler à ses habitants la nécessité de lutter contre toute forme de radicalisme afin de préserver la sécurité de tous. »
Un terreau favorable à l’endoctrinement
Les interventions sont précisées : une prise de parole dans les lieux de culte, la formation des imams par les cadis « pour un meilleur encadrement des prêches religieux », l’organisation de réunions villageoises sur les dangers du radicalisme et la présentation d’exposés dans les établissements scolaires. Car, les nombreux courriers qu’ils étalent en sont une preuve, les cadis sont interpellés par les habitants sur une demande d’explication du djihad et de la radicalisation et ses signes. Un référent sera nommé chez les cadis, et ces actions seront financées par des dons et des subventions publiques.
En rétablissement, Elad Chakrina nous explique le risque : « Mon inquiétude est venue du décès d’un Mahorais en Syrie et de la présence d’un Réunionnais parmi les terroristes. On sait que l’endoctrinement cible les populations misérables. Ici, les mineurs isolés, les jeunes en mal être identitaire, la perte de repères liés à la départementalisation, offrent un terreau favorable. Il faut y rajouter les jeunes étudiants du Moyen Orient en quête de reconnaissance sociale. »
Il accuse certains discours radicalisés sur l’île, « qui mettent dans le même panier djihad et terrorisme. Nous sommes dans l’islam extrémiste. »
Il s’agit pour lui d’un principe de précaution, censé aussi agir contre les partisans d’un retour dans le giron comorien qui pourrait saisir ce prétexte d’une agitation pour souligner l’incongruité d’un îlot musulman au sein de la République française.
« De toute façon, le COSEM autant que les cadis, se doivent d’informer la population sur les risques d’embrigadement, c’est un geste civique », conclut Elad Chakrina.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte