Pour une fois, les acteurs de l’audience correctionnelle n’étaient pas réels, ou du moins, pas ceux auxquels on pouvait s’attendre : la troupe de théâtre du Centre Nyamba donnait une pièce de théâtre un peu spéciale, puisqu’il s’agissait du jugement d’un jeune accusé d’agression sexuelle. Et face au président du TGI et au procureur, le vrai !
L’accusé arrive dans la salle d’audience menottes aux poignets, amené par une gendarme. Il est accusé d’agression sexuelle par contraintes et menaces. « Vous avez déjà été condamné par le tribunal à de même faits lorsque vous étiez mineur, vous êtes en état de récidive légale. Et veuillez vous tenir droit à la barre ! », assène la présidente haut et fort, alors que l’accusé se tasse sur lui-même en fur et à mesure de l’énoncé de son accusation.
Si ce n’est l’âge des robes noires, on s’y serait cru. Car il s’agit de la troupe de théâtre du Centre Nyamba du Secours Catholique-Caritas France qui avait ainsi investi la salle d’audience, la seule, du tribunal de Mamoudzou. C’est Sylvie Especier, alors sous-préfète à la cohésion sociale de Mayotte, qui, face aux nombreux faits de viol chez les jeunes, avait commandé ce travail au centre Nyamba de Caritas France, appuyée par Marie-Laure Piazza, ex-présidente du Tribunal de Grande Instance (TGI).
Un personnage sévère
Virginie Rougy, Pascal Roig, Anne Ravel et Colombe Cimma ont choisi de travailler sur ce qui se passe après le viol : « Pour parler de l’efficacité de la justice, et des comptes que l’individu aura alors à rendre à la victime et à la société », expliquent-ils. Un travail d’un an avec les adolescents et les jeunes adultes scolarisés au Centre Nyamba, comme Hadidja, jeune comorienne, et juge d’un jour, qui tente de construire son avenir à Mayotte.
En préambule, une présentatrice explique aux spectateurs de la salle d’audience les arcanes d’une audience : « Vous y verrez les éléments de langage utilisés par les avocats pour atténuer la peine de leurs clients, et développer leurs défenses. Et vous découvrirez un personnage réputé sévère, qui livrera son accusation après avoir prouvé la culpabilité du prévenu »… Ce que le procureur Joël Garrigue accueillait dans un grand rire.
Rien que du vécu
L’énoncé des faits était crû. Les jeunes acteurs évoquaient les gestes de pénétration, de fellation, et même plus, mais sans affinité, puisqu’il s’avère qu’entre la version de l’accusé qui évoque une jeune fille « bien gaulée » et consentante, et celle de la victime qui se dit contrainte, lors de sa déposition, il y a un fossé.
L’oncle du prévenu viendra d’ailleurs témoigner de cris de refus de la victime. « Mon neveu ne faisait rien à l’école, il a arrêté avant le collège. J’ai voulu le faire recruter comme agent d’entretien chez Sodifram, mais il n’est plus venu au bout de trois jours… »
Non seulement ça sent le vécu, mais c’est un témoignage dont une majorité de jeunes pourra s’imprégner et tirer des conséquences : car la scène était filmé et devra servir à des fins pédagogiques.
« Plus vrai que nature »
Le « procureur » requérait 5 ans de prison, dont un avec sursis, et trois ans de mise à l’épreuve, après avoir demandé qu’ « une éducation à la citoyenneté prenne le relai pour les comportements déviants. »
La défense pointait tout ce que ces jeunes sont susceptibles de traverser : « il a été abandonné par son père, élevé par ses oncle et tante, livré à lui-même et en recherche d’emploi. Mais sans comportement agressif ou violent. » Des éléments qui auront été droit au cœur des juges qui faisaient preuve de clémence en le condamnant à 4 ans de prison avec sursis et 6.000 euros d’amende.
Dans la salle, outre le commissaire de police et le capitaine Chamassi, les représentants de la gendarmerie, Hélène Nicolas à la tête de la Protection judiciaire de la jeunesse, le Dieccte, le président du tribunal de Grande Instance Laurent Sabatier et le procureur Joël Garrigue félicitaient les acteurs : « une scène plus vraie que nature », pour Laurent Sabatier, tandis que le procureur se réjouissait de « pouvoir enfin partir en vacances, quelqu’un va pouvoir me remplacer ! », mais tout en indiquant que les chefs d’accusation aurait propulsé tout ce petit monde aux Assises s’il n’avait tenu qu’à lui…
De nombreux échanges s’en sont suivis, notamment sur l’utilité de la prison et des peines alternatives. Il ne reste plus qu’à faire vivre la pièce en la diffusant, pour que les bonnes raisons de ne pas passer à la barre l’emportent…
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte