C’est une situation inédite. Pour la première fois, deux associations, «les exilé.e.s de Tsimkoura» et la Cimade Mayotte lancent une alerte publique face à des actes commis contre des Comoriens installés à Mayotte. Elles demandent au préfet et la maire de Chirongui une rencontre «de toute urgence» pour discuter de la situation des familles comoriennes dans cette commune du sud.
Elles veulent «trouver des solutions, dans le dialogue et la coopération» face à de très vives tensions à Chirongui qu’elles racontent succinctement. «Des dizaines de familles comoriennes se sont retrouvées expulsées de leurs lieux de vie au début du mois de janvier dernier par un ‘collectif’ de villageois mahorais», indiquent-elles. «Parmi elles, des personnes en situation irrégulière mais aussi des personnes en situation régulière, des personnes en instance de régularisation, des mineurs, des Français.»
Les associations relatent les difficultés pour ces personnes à trouver de nouveaux logements précaires et permettre à leurs enfants de poursuivre leur scolarité. Certaines de ces familles, revenues à Tsimkoura ont, à nouveau, été «expulsées» et certains logements détruits, y compris par les flammes, affirment-elles.
Des atteintes aux droits «plus tenables»
Pour ces associations, «cette situation de violences et d’atteinte aux droits n’est plus tenable et les autorités publiques doivent prendre leur responsabilité». Car pour elles, il existe «un réel risque de multiplication de ces actes». Elle se font ainsi le relai de rumeurs promettant de nouvelles «expulsions» à l’encontre des populations comoriennes de Poroani et de Chirongi le 20 mars prochain.
Ce courrier intervient alors qu’une autre prise de parole publique est publiée sur un blog de Médiapart. Il s’agit de «l’interrogation de simples citoyens» qui dénoncent dans notre département «un vivre-ensemble aux parfums d’injustice, de violence, de misère et d’inégalités».
«Mayotte, terre de non-droit?», s’interrogent ses auteurs. Dans le même esprit que le courrier des associations, ils racontent des communes «où des centaines de personnes vivent sans eau courante, parfois sans électricité, sans collecte des déchets, sans routes, dans des conditions sanitaires épouvantables, et avec parfois la peur de la reconduite à la frontière.»
Racisme ordinaire et repli sur soi
Constatant que «le racisme est devenu normal en France», pour eux, «Mayotte n’y échappe pas.» Ils écrivent : «La peur de l’autre, les différences linguistiques, culturelles, les disparités économiques favorisent son développement, et force est de constater que les « communautés » qui constituent la société mahoraise ne semblent pas se tendre la main pour faire face aux défis actuels, mais préfèrent se replier sur elles-mêmes.»
Et ce post pose, sans détour, les problématiques essentielles et même existentielles de notre département : «Mayotte, au fond, est-ce bien un territoire de la République Française? Où est la liberté, lorsqu’il est dangereux d’aller randonner entre amis le week-end, même armé? Où est l’égalité, lorsque certains enfants ne vont pas à l’école de peur d’être expulsés aux Comores sans leurs parents? Où est la fraternité lorsque le racisme enfle, et où certaines opinions font froid dans le dos?», dénoncent les auteurs.
Sourde et profonde crise
Face à la crise sécuritaire terrifiante qui se transforme, peu à peu, en crise sociale et sociétale, le post se demande finalement «à partir de quel stade de délitement du tissu social peut-on considérer que la vie n’est plus normale, que le vivre-ensemble est mis à mal, piétiné par les conséquences indirectes de la misère, de l’injustice, du non-droit, d’un système éducatif sous-dimensionné, d’un système régalien effacé?»
Chacune à leur manière, ces prises de position espèrent faire réagir face à la «sourde et profonde crise» que connaît Mayotte, avant qu’il ne soit «trop tard». Plus que jamais, le spectre d’une «guerre civile», selon les mots de l’ancien député Mansour Kamardine tant de fois entendus dans la rue, prend corps dans les esprits et les mots. Comme le disent les associations, «urgence».
Rémi Rozié
remi@lejournaldemayotte.com
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