D’un côté, la suspension du mouvement social, de l’autre l’assassinat d’un homme vendredi soir, deux actualités sans lien mais qui «brusquement, ont remis Mayotte, l’oubliée de la République, au-devant de l’actualité nationale», écrit l’envoyé spécial du Monde à Mamoudzou.
A la veille d’une journée «île morte», le quotidien constate que «les barrages ont été levés», après plus de deux semaines de grève générale «pour l’égalité réelle». «Il a fallu de longues heures de discussion, samedi après-midi, lors d’une assemblée générale qui s’est tenue au col de Chirongui (…) pour que les responsables syndicaux de retour de Paris (…) parviennent à convaincre leur base de ‘suspendre’ la grève», explique Patrick Roger.
Car «les manifestations d’exaspération, exacerbées par les violences commises en début de semaine dernière par des bandes de jeunes désœuvrés, faisaient craindre que la situation ne dégénère».
Selon l’accord signé à Paris, des négociations vont commencer en mai. «Les syndicalistes ont prévenu que, si les engagements n’étaient pas tenus, le mouvement reprendrait», indique notre confrère.
Pour autant, «les tensions restent cependant vives dans le 101e département français», constate le journal La Croix. «Les syndicalistes insistent d’ailleurs sur l’usage du terme ‘suspension’ de la grève, et non ‘arrêt’. ‘À la première date non respectée, on refait grève’, prévenait ce week-end Yann Durozad, syndicaliste du Snes-FSU», cité par le quotidien.
«Sentiment d’abandon»
Les médias parisiens poursuivent leur plongée dans la réalité mahoraise. Ainsi Le Point parle de Mayotte comme «un département au rabais». L’hebdomadaire constate que «5 ans après la départementalisation, le sentiment d’abandon reste fort sur l’île.»
«Dans le damier territorial français, Mayotte fait un peu figure de dernière roue du carrosse», écrit Mathieu Lehot. Dans son «état des lieux» du «département le plus pauvre de France», l’hebdomadaire évoque la démographie, l’immigration, le chômage, la vie chère et bien entendu les violences: Mayotte est «à l’aube d’un ‘cataclysme’», explique Le Point, citant ainsi Joël Garrigue, le procureur de la République qui avait employé la formule à l’occasion de l’audience de rentrée du tribunal en février dernier.
Témoignages de métropolitains pour comprendre
En métropole, les journaux régionaux proposent aussi des témoignages de métropolitains installés dans notre île. Ainsi Ouest-France a contacté une sage-femme originaire de la Ferté-Macé, en Normandie. Solenne vit à Mayotte depuis juillet 2014. Elle tente de faire comprendre les deux dernières semaines «compliquées» vécues dans un hôpital périphérique, «l’absence forcée de collègues et de livraison de pharmacie».
Concernant l’insécurité, la jeune femme précise qu’«il ne faut pas dramatiser». «Je ne suis pas sûre que les émeutes ou les agressions soient plus méchantes qu’en région parisienne», explique-t-elle à nos confrères rappelant le contexte insulaire où «toutes les informations vont plus vite» et peuvent aboutir à un effet «cocotte-minute».
Le Républicain Lorrain aussi reprend le terme de «cocotte-minute». Dans les colonnes du journal, on retrouve le témoignage de Marion et William, venus de Nancy. Ils entament leur 4e année à Mayotte en tant qu’enseignants. Ils évoquent la «désespérance» et le cumul de «tous les retards et toutes les inégalités, sans comparaison possible avec les autres départements d’outre-mer.»
Ils expliquent les bidonvilles, les barreaux aux fenêtres des maisons en dur, les batailles rangées entre villages «fréquentes pour de futiles prétextes»… Notre quotidien. «L’Etat est démissionnaire. Il doit réagir. Mayotte, c’est une pépite au potentiel incroyable. Mais rien, pas même le tourisme, n’y est exploité», concluent-ils.
«Un projet Mahorais»
Enfin, dans ce flot de paroles, en voici une venue de La Réunion. Wilfrid Bertile a pris son clavier pour écrire une tribune publiée par nos confrères du Journal de l’île. Cet ancien député est agrégé de géographie et membre de la «Commission d’Information et de Recherche Historique des Enfants de la Creuse». Il a été décoré de la légion d’honneur voici quelques semaines. Pour lui, aucun doute: «Nous sommes concernés» par Mayotte. «Le foyer d’incendie mahorais attisé par le vent de l’immigration anjouanaise est en passe de nous atteindre», prévient-ils à l’adresse de nos voisins.
Et il tente de réfléchir à des solutions qui passent d’abord par «le développement des Comores». «Nous devons y participer par solidarité avec nos frères comoriens et aussi parce que les Comores sont la colonie dans laquelle la Métropole a le moins fait, ni action sanitaire et sociale, ni infrastructures, ni tissu économique dignes de ces noms. Les moyens existent, ceux de la coopération française bilatérale, ceux de la coopération décentralisée de nos collectivités, ceux mis par l’Europe à la disposition de Mayotte pour coopérer avec les Comores», affirme-t-il.
Pour lui, il faut aussi construire un «projet mahorais qui ne soit pas qu’une duplication de ce qui se fait en France ou à La Réunion». «Les ayant précédés dans la départementalisation, nous pourrions aider Mayotte par notre expérience, par l’expertise de nos services, par la mutualisation d’un certain nombre de moyens».
Etat, Union européenne, collectivités locales réunionnaises et mahoraises, intercommunalités, société civile de La Réunion et de Mayotte… Il appelle à une action coordonnée «pour un développement mutuellement profitable, pour un codéveloppement, de La Réunion, de Mayotte et des Comores. Ce sera long et difficile. Raison de plus pour commencer sans plus tarder.»
Et Wilfrid Bertile conclut: «Aux opposants à la coopération régionale, je rappelle toujours ce proverbe africain: ‘Si le feu prend dans la case de ton voisin et si tu ne l’aides pas à l’éteindre, le feu se communiquera à la tienne’. Avec ce qui se passe aux Comores, à Mayotte et à la Réunion, dans certains quartiers, nous y sommes.»
RR
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