Des chiffres spectaculaires. La saison des pluies qui vient de s’achever va rester dans les annales… avant, peut-être, de devenir la norme. C’est ce qui ressort des travaux menés par Météo France que révèle le JDM. Les prévisionnistes ont en effet établi un bilan qui apparaît hors normes sur bien des aspects.
«Nous avons des records de pluie absolu dans le sud et sur Petite Terre depuis que les relevés météo existent dans notre département», constate Bertrand Laviec, le responsable de Météo France Mayotte.
Par rapport aux normales, il est tombé beaucoup plus de pluie sur de nombreux villages: 40% de plus sur Bandrélé, 54% sur Mzouazia, 55% sur Pamandzi. Le record le plus marquant est celui établi à Mbouini, dans l’extrême sud de Grande Terre. Les précipitations y ont été supérieures de 89% comparées aux normales. Ce sont 1.928mm d’eau au mètre carré qui ont été enregistrés dans le village sudiste par Météo France. Cela représente 2.000 litres et donc 2 tonnes d’eau par mètre carré !
Les données font également apparaître environ 1.600 litres par mètre carré à Mzouazia, Bandrélé ou Pamandzi. De son côté, Mamoudzou a reçu 1.541mm d’eau, soit des précipitations supérieures de plus d’un tiers (35%) par rapport aux normales.
Deux mètres de pluie en deux mois et demi
Ces quantités sont énormes et elles sont d’autant plus frappantes que la saison des pluies a démarré tardivement. «Il faut se rappeler qu’en décembre et janvier, nous étions en situation de sécheresse», souligne Bertrand Laviec. A part un épisode pluvieux marquant en novembre, l’essentiel des pluies s’est concentré entre le 25 janvier et le 10 avril. «A Mbouini, les 2 mètres de pluie sont tombés en deux mois et demi!» souligne le météorologue.
Autre spécificité de cette saison, la répartition de ces pluies est particulière. «Ce qui est étrange, c’est qu’on est à l’inverse de la situation habituelle. D’habitude, il pleut davantage à Mtsamboro ou à Coconi. Cette année, le nord-ouest accuse un déficit de précipitations». Les pluies sont en effet inférieures de 14% à Mtsamboro comparées aux normales.
Le changement climatique à l’œuvre
Les explications se trouvent évidemment dans le phénomène El niño particulièrement puissant cette année mais pas uniquement. «El Niño est une sorte de catalyseur mais les signes d’un changement climatique qui s’accélère sont manifestes», analyse Bertrand Laviec. Car Météo France a fait tourner ses modèles informatiques pour projeter le climat de Mayotte dans le temps.
Dans les décennies à venir, les phénomènes particuliers à la saison des pluies 2015-2016 pourraient bien revenir régulièrement pour finalement s’imposer comme la nouvelle norme. «La saison sèche sera plus sèche et la saison humide sera plus ramassée, avec une évolution de la répartition géographique qui conduira le nord de Grande Terre à ne plus être la zone la plus arrosée de Mayotte», explique Bertrand Laviec.
Un risque cyclonique plus important
Concrètement, cette modélisation de l’évolution climatique à Mayotte pose de nombreuses questions. La première est la recrudescence des événements violents, les cyclones. «Avec une mer plus chaude, il est probable que la zone de formation des cyclones sera plus importante», relève Bertrand Laviec. Les phénomènes de moyenne intensité pourraient être plus nombreux et le mythe du bouclier malgache, censé nous protéger, pourrait voler en éclat. La culture du risque cyclonique doit impérativement s’imposer à nous alors qu’elle est actuellement totalement absente à Mayotte.
D’autres questions portent sur les aménagements des zones urbaines qui doivent être en mesure d’absorber et de diriger des quantités phénoménales d’eau en peu de temps pour ne pas noyer nos villes ou emporter nos routes.
Eau potable et risque incendie
Se pose aussi la problématique de l’eau potable. Les retenues collinaires sont situées dans le nord du département à Dzoumogné et Combani. La saison des pluies permettrait encore leur remplissage, comme ce fut le cas cette année. Elles sont pleines depuis le mois de mars. Mais avec une période sèche plus longue et plus intense, l’alimentation en eau sera un problème récurrent entre les mois d’octobre et de janvier.
Enfin, cette évolution climatique ne sera pas sans conséquence sur l’environnement: l’ensemble de la flore et de la faune sera-t-elle en mesure de s’adapter? Et le risque accru d’incendie sera-t-il correctement pris en compte?
La saison des pluies qui vient de s’achever est donc riche en enseignements et en problématiques. Ils doivent être très sérieusement considérées pour préparer le territoire à un avenir climatique changeant à moyen et long terme.
RR
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