L’audience avait commencé par un incident: alors que l’affaire avait déjà été renvoyée et que les soutiens de l’inspectrice étaient venus en nombre, la partie civile demandait un nouveau renvoi, les faisant réagir bruyamment dans la salle. Deux d’entre eux, tout cadre de l’éducation nationale qu’ils soient, furent priés de sortir par le président Sabatier, la sérénité devant prévaloir lors d’une audience. L’avocat de la défense Me Hessler s’opposera à ce renvoi, arguant que l’affaire avait déjà suffisamment nui à sa cliente.
Une affaire qui avait été très médiatisée : le syndicat du premier degré SNUipp s’était insurgé contre les propos qu’avait tenu une inspectrice de l’Education nationale lors d’une réunion avec une équipe pédagogique. On ne parlera pas au conditionnel, puisque l’entretien avait été enregistré à son insu. Le syndicat l’avait alors accusée de diffamation et d’incitation à la discrimination.
Ce n’est pas tant le contexte dans lequel les propos avait été tenu, le blocage de l’école par les parents d’élèves, que les témoignages à la barre qui auront convaincu le tribunal.
Le ramassage des déchets en toile de fond
Nous sommes à la rentrée scolaire de 2015, et l’école élémentaire d’Iloni est jonchée de déchets, la mairie de Dembéni est sous tutelle, il n’y a plus de femmes de ménage. C’est pour dénoncer l’absence d’hygiène que les parents ont décidé de bloquer l’école. L’inspectrice de l’Education nationale de la circonscription pédagogique de Dembéni se rend sur place et réunit le directeur de l’école et les enseignants. « Nous cherchions une solution pour pouvoir rouvrir l’école fermée par les parents », indique-t-elle à la barre. L’un d’entre eux va l’enregistrer à son insu.
« Les enfants de Mayotte, je ne sais pas si on a la volonté de les éduquer, parce je trouve qu’on travaille beaucoup la pédagogie de la connerie. L’éducation civique et morale n’est jamais enseignée dans ce département », s’était exclamée entre autre l’inspectrice. Qui rappelle à l’équipe que depuis la rentrée, les enfants mettent les déchets dans les sacs, éventrés par les animaux, parce que non ramassées. « Les gens payés à ne rien faire, ça satisfait tout le monde », poursuivait-elle, ils comprennent le français que quand ils en ont envie. »
Le président Sabatier essayait de savoir à qui s’adressaient ces propos, « aux enseignants? aux parents ? », « aux actes », répond-elle à la barre, en précisant qu’il s’agissait d’une réunion non publique, avec des propos tenus lors d’un échange. D’autre part, elle précise ne jamais avoir demandé que les enseignants nettoient.
La « pédagogie de la connerie » détaillée
Sommée de s’expliquer sur la « pédagogie de la connerie », elle répondra que « c’est l’art de s’occuper de n’importe quoi au lieu de faire son travail. Je demande des enseignants efficaces au quotidien, une éthique dans le travail. Des générations d’enfants sont sacrifiés par le laxisme de certains enseignants. » « Mais avez-vous fait une distinction entre enseignants d’origine mahoraise et les autres », interroge le président qui tente de savoir s’il y a incitation à la discrimination raciale, « jamais! Il n’y a pas de différentes races pour moi, mais une seule. »
La seule mention qui y fait référence, c’est la pratique intentionnelle ou non du français, sur lequel le président ne s’attardera pas, mais la meilleur objection contre la supposée connotation raciste de la phrase, ce sont les témoins qui vont la donner. Cités trop tardivement, et ils seront entendus comme simples apports de renseignements complémentaires.
Une question de civisme
Les cinq s’avancent, aucun n’est métropolitain. C’est Assani Mohamed, délégué principal des parents d’élèves, qui est à l’origine de la présence de l’inspectrice. Ayant fait le constat d’une impasse: « la mairie sous tutelle, personne ne ramassait les déchets, il fallait faire quelque chose. J’ai donc appelé l’inspectrice pour voir si les parents d’élèves ou l’équipe pédagogique pouvait faire le ménage. C’était une question de civisme que chacun participe à la propreté des lieux. » Une question que tout le monde ne partage apparemment pas. « Je n’admets toujours pas la réaction des instit qui auraient du nettoyer avec nous », conclut-il.
C’est ensuite Toilibou Mohamed, le directeur d’école élémentaire de Bandrélé, qui apprend par la radio les accusations de racisme: « C’était impossible, puisqu’en tant que présidente de jury, elle m’avait retenu pour ce poste de direction alors que 4 mzungus avaient postulé. » Les accusations finissent de s’effriter avec les trois autres témoignages.
Une affaire qui lui avait porté « de gros préjudices professionnels », comme le rappelait la cadre de l’éducation nationale, et qui lui avait valu une suspension à titre conservatoire. Une enquête administrative avait été déclenchée. Émue par les témoignages, elle qui avait tenu bon, s’effondre en silence sur le banc des accusés sur lequel elle n’avait manifestement pas grand chose à faire selon le jugement.
Car le tribunal a délibéré dans la foulée: l’inspectrice est relaxée, et obtient 10.000 euros de dommages et intérêt, 3.000 euros de frais de justice et condamne le SNUipp à 6.000 euros d’amende.
A.P-L.
Le Journal de Mayotte