Le 31 octobre 2008, Pascal Simbikangwa était arrêté à Mayotte sous le nom de Safari pour trafic de faux papiers. Il sera jugé à Paris dans quelques jours, ce qui risque de réveiller les vieux démons de la Françafrique.
C’est en y regardant de plus prés, que la justice s’était rendue compte que l’homme qu’elle tenait était recherché par Interpol depuis plusieurs mois pour génocide au Rwanda. Elle refusait néanmoins son extradition, et après être passé par La Réunion, Pascal Simbikangwa était transféré à Paris à la prison de Fresnes.
Accusé de «complicité de génocide et de complicité de crimes contre l’humanité», Pascal Simbikangwa devra répondre de ses actes devant un jury populaire de la Cour d’assises de Paris. Son procès doit se tenir du 4 février au 28 mars 2014 nous apprend la Ligue des Droits de l’Homme. C’est le premier procès en France d’un présumé génocidaire Rwandais.
Les plaignants sont le Collectif des Parties civiles pour le Rwanda (CPCR), la Fédération Internationale des Ligues des Doits de l’Homme (FIDH), la Ligue des Droits de l’Hommes et la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA).
La guerre civile qui opposait en 1994 le gouvernement rwandais constitué de Hutu au Front Patriotique Rwandais (FPR) à majorité Tutsi, s’était soldée par la perte du pouvoir par les premiers, non sans avoir auparavant perpétré un massacre de grande ampleur : 800.000 Tutsi et Hutus modérés ont été tués estime un rapport de l’ONU. L’acte avait été qualifié de «génocide» puisque «commis dans l’intention de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux».
La Françafrique à la barre
Si la Belgique a longtemps arbitré les relations Hutus-Tutsi, la France est aussi montré du doigt pour sa proximité avec le pouvoir en place à l’époque, et pour n’avoir que peu réagi pour l’en empêcher. Le Huffingtonpost en témoignait il y deux jours : «Encore figé par les vieux démons de la responsabilité de dirigeants français au plus haut de l’appareil d’état dans le génocide, l’Etat préfère éviter toute confrontation de près ou de loin avec le sujet», pour réclamer «que l’Etat mette à disposition l’ensemble des documents pour que les responsabilités individuelles soient révélées».
Depuis, le président Tutsi Paul Kagamé a accédé au pouvoir. Il est également controversé pour avoir à son tour mené «son génocide» en 1996 comme le signale un rapport, toujours de l’ONU : «les victimes du génocide de 1994 auraient appliqué des méthodes génocidaires semblables à celles dont ils furent les victimes».
Ce qui avait incité la communauté africaine des Grands Lacs de Mayotte à descendre dans la rue lors de la rencontre présidentielle Sarkozy-Kagame en septembre 2011. Non qu’ils aient participé en tant que Hutus au premier génocide Tutsi, «c’est un petit groupe de personne qui est en cause», nous indique l’un d’entre eux, mais parce que qu’ils accusent l’actuel président Rwandais «d’avoir massacré une partie de la population congolaise, dont des Rwandais réfugiés en République Démocratique du Congo entre 2003 et 2008».
Une situation difficile à apaiser
Ils demandaient surtout l’application du rapport Mapping de l’ONU qui retrace les violations des droits de l’homme commises sur le sol rwandais de 1993 à 2003. Nul doute que ce rapport soit de nouveau mentionné au cours du procès.
Il est difficile d’y voir clair dans ce génocide et l’OFPRA (Office Français de protection des réfugiés et apatrides, qui octroie le statut de réfugié) met parfois des années à démêler, à Mayotte, les parcours de Rwandais Hutus se faisant passer pour des Tutsis et vice versa. La plupart des réfugiés accusent en tout cas Pascal Simbikangwa, d’avoir été «en tant que membre des Services secrets», un des organisateurs du génocide.
Depuis, en 2010, un autre présumé génocidaire, Octavien Ngenzi, avait été arrêté à Mayotte, alors qu’un autre individu suspect a été interpellé jeudi dernier aux Pays-Bas et devrait être extradé à Kigali.
La Ligue des Droits de l’Homme indique dans un communiqué qu’en 2004, « la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour la lenteur de ses procédures judiciaires à l’encontre des présumés génocidaires venus s’installer en France. 20 ans après le génocide, nos organisations, qui sont parties civiles dans l’affaire Simbikangwa, saluent l’ouverture de ce procès et attendent que justice soit enfin rendue pour les victimes».
Anne Perzo-Lafond