Conçue pour réduire le millefeuille territorial, « et j’aime trop cette pâtisserie pour conserver ce terme auquel je substitue celui d’’échelons territoriaux’ », le maire de Sainte Suzanne (La Réunion) en constatait l’échec : « Nous n’avons rien simplifié, et en Outre-mer, on nous a demandé de rentrer dedans, même si la chaussure est trop petite. » Très applaudi, l’élu réunionnais dans l’hémicycle où il semblait que peu de monde allait défendre l’acte III de la départementalisation.
Et pour cause, elle a pour objectif notamment de réduire les masses salariales qui gangrènent les budgets de trop de collectivités, ici ou ailleurs. Le gouvernement devait donc trouver un biais pour mettre le holà.
En proposant de créer des communautés de communes ou des communautés d’agglomération, la loi doit permettre de mutualiser les moyens. Par exemple, quand trois communes géraient individuellement la collecte et le traitement des déchets, ou le développement économique chacune dans leur coin, leur regroupement permet de ne faire qu’un et donc de libérer des finances pour autre chose. Du personnel aussi. Mais pour l’instant, aucune étude d’impact n’en chiffre précisément les effets, le gouvernement avait visé une économie de 11 milliards d’euros sur les dotations aux collectivités locales d’ici 2017.
« Que deviendra le maire ? »
Dans le même esprit, la nouvelle réglementation impose aux communes une plus grande transparence avec par exemple la publication d’un plan d’action à la suite d’un avis de la Chambre régionale des comptes, un rapport d’orientation budgétaire dans les deux mois précédents le vote du budget, etc.
D’autre part, et comme l’a fait sentir une voix qui s’est élevé dans l’hémicycle, les maires perdent peu à peu de leurs pouvoirs : « On transfère la compétence des déchets à l’intercommunalité, puis du tourisme en 2017, puis de l’eau et de l’assainissement… Quel sera le rôle du maire ?! » Rires jaunes dans l’assistance.
Ils abritent leurs contestations derrière le budget qui ne suivrait pas, comme l’explique le maire de Saint Benoît : « L’Etat nous donne des compétences sans contreparties », mais il reproche surtout de s’écarter des vrais problèmes, « on n’évoque pas la problématique santé, alors que beaucoup n’arrivent pas à se faire soigner. »
Le sénateur Thani Mohamed monte le ton
Le sénateur Thani Mohamed Soilihi, en tant que parlementaire des collectivités, se doit de relayer ces doléances, et va même plus loin : « Les discussions étaient les mêmes dans les années 80 lors des première lois sur la décentralisation. L’Etat se désengage de plus en plus depuis 15 ans. Les parlementaires d’Outre-mer ont beau se manifester, nous ne sommes pas entendus. Il faut une réflexion globale », le Congrès de l’ACCD’OM peut être cette chance là.
Que le pays n’ait pas les moyens, le sénateur ne veut pas l’entendre, rappelant que la France était redevenue la 5ème puissance mondiale (repassant devant un Royaume Uni touché par le Brexit), « et nous restons la 2ème puissance maritime ».
La loi n’est donc peut-être pas critiquable en terme d’efficacité, selon le sénateur Mahorais, « nous n’en avons pas le recul », mais sous un plan financier, si : « L’Etat tout puissant impose ses diktats aux collectivités, en se déchargeant sur elles. Il tient les cordons de la bourse. »
Le préfinancement des fonds européens en trop
Et ce sont les contribuables qui vont supporter ce désengagement, puisque l’Intercommunalité a sa fiscalité propre, qui vient se rajouter à celle de la commune : « L’Etat fait des économies au détriment des familles qui vont payer un impôt plus lourd », dénonce Saïd Omar Oili qui interroge sur les enjeux, lui qui en tant que maire de Dzaoudzi et président de l’AMM est en première ligne : « La population vivra-t-elle mieux ? La loi va-t-elle dégager des emplois pour les jeunes ? » Une position qui le place en droite ligne de la parole que devront porter les futurs candidats aux sénatoriales, dont il fait partie comme Thani Mohamed Soilihi.
Face à cette situation compliquée pour les collectivités, notre pays les laisse faire leurs fonds de tiroirs pour préfinancer les fonds européens, « l’Etat doit faire un effort et prendre en charge ces préfinancements », invite le sénateur Thani. « Un point qui pourrait faire l’objet d’une motion sur la simplification de la consommation des fonds européens », fait remarquer Sophie Charles, la vice-présidente de l’ACCD’OM.
Les collectivités doivent aussi faire leur mea culpa, « elles n’ont pas fait remonter leur problème au moment de la rédaction de la loi », nous glisse un intervenant. Il faut donc saisir la balle au bond avant qu’elle ne retombe en décrets d’application sur les secteurs non encore transférés, comme le tourisme.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte