Toute la semaine, à l’occasion des 25 ans de l’Adie*, le Journal de Mayotte vous propose des portraits de Mahorais qui ont réussi à créer leur propre emploi grâce au micro-crédit. Rencontre avec des Mahorais qui se sont donné les moyens de réussir : aujourd’hui, direction Acoua.
La journée d’Antoumane commence quand tout le monde dort encore. A 3 heures du matin, il se rend dans sa boulangerie pour préparer les pains et les croissants qui raviront ses clients dès les premières lueurs du jour.
A 21 ans, Antoumane a été un des plus jeunes boulangers de Mayotte à ouvrir son magasin. Et à durer. Deux ans après, à Acoua, il gère son affaire d’une main de maître. «Même si les affaires marchent pas mal, pour l’instant, je ne peux pas me permettre d’embaucher. Alors, je fais tout moi-même.»
Boulanger la nuit, livreur le jour
Devant lui, il manipule une énorme masse de pâte. Il en extrait de petites boules qui vont devenir des baguettes et des petits pains blancs.
Vers 4h30, il met son pain à cuire, «à 5h30 si j’ai du retard». Et dès 6 heures, il part livrer ses clients pendant que sa mère tient la boutique. Sa longue tournée l’emmène dans tout le nord de Mayotte. Un lycée, des écoles, quelques snacks qui proposent des sandwichs, avec entre temps, des arrêts dans des villages. «A Hamjago, c’est mes plus gros clients. Quand je descends dans la ville, tout le monde vient prendre du pain!» Sa clientèle, ce sont des habitués, des fidèles comme ce bacoco de Mtsahara qui ne peut plus se déplacer pour chercher son pain à Dzoumogné et qui l’attend, patiemment, tous les matins.
Sa mère, un soutien permanent
«Là, j’ai assez de baguettes, je vais attaquer les kebabs», dit-il en prenant le rouleau à pâtisserie pour aplatir les petites boules de pâte. Dans sa petite boulangerie, il a dû apprendre à fabriquer assez de pains pour fournir sa clientèle mais pas trop pour ne pas avoir de pertes.
Antoumane doit aussi faire avec les problèmes d’approvisionnement réguliers, liés à l’insularité de Mayotte. «Actuellement, je n’ai plus de crème donc je ne peux pas faire de pains aux raisins.»
Sa mère le soutient depuis le début. C’est même elle qui l’a amené, il y a quelques années, s’inscrire au lycée professionnel de Kaweni. Il y a obtenu un CAP de boulangerie avant de suivre une «mention complémentaire» au CFA de Bourges pendant un an. «La farine de maïs qu’on utilisait là-bas, c’est la meilleure du monde. C’est pas du tout pareil, quand tu fais ta pâte ; elle est légère, à moitié sablée et même au goût, c’est bien meilleur.» Il a bien essayé d’en importer à Mayotte, mais les questions logistiques ont eu raison de son envie. «Ici, on trouve de la farine de blé ou de seigle… C’est pas ça !»
Un fêtard devenu sérieux
La température du four est montée à 240 degrés. Il peut enfourner ses viennoiseries et ses baguettes.
Antoumane a toujours eu la réputation d’être un joyeux luron. «Au CFA, j’étais du genre à embêter tout le monde, j’étais celui qui n’écoutait rien. Mais avant les examens, quand tout le monde est partie en vacances, moi j’ai bossé comme un fou et j’étais prêt. Plus tard, quand je leur ai dit que j’avais monté ma boulangerie, ils n’y croyaient pas. Je les ai bien surpris!»
Dans sa boulangerie, aujourd’hui, pas question de prendre les choses à la légère. C’est du sérieux. Il obtient un premier prêt de l’Adie de 5.000 euros pour son matériel et ses fours. Ce crédit vite remboursé, il en prend un second de 7.000 euros pour acheter sa voiture de livraison. «Mon projet actuellement, ça serait de renouveler une partie de mon matériel. Il y a beaucoup de problèmes avec l’électricité ici. Si un jour, j’ai une machine qui lâche, c’est moi qui serai dans le pétrin !»
Devant sa boulangerie, un ami est venu lui faire un tag en guise d’enseigne: «Boulangerie Edine pain». «Au début, j’ai emprunté de l’argent à mon frère avant d’aller à l’Adie. Je lui ai dit que je lui ferai un petit cadeau en retour.» Il l’a fait : sa boulangerie porte aujourd’hui le nom de son frère.
Les premiers clients s’impatientent. Ce matin, Antoumane a pris un peu de retard à cause du JDM. Ils ne vont plus attendre très longtemps. Les premiers petits pains sont cuits.
RR
*Adie : l’Association pour le droit à l’initiative économique, spécialisée dans le micro-crédit et l’accompagnement aux petites entreprises