Ces petits conflits fonciers qui pourrissent la vie

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tgi-mamoudzou-a-kaweni«Je vous le dis franchement: Avec toute la délinquance que l’on a à Mayotte, la justice a autre chose à faire que de s’occuper d’histoires de champs de maïs!» Il était agacé, le juge Banizette. Hier mardi matin, il devait en effet résoudre le conflit qui opposait M. Hamada* et M. Saindou*, deux habitants de la commune de Ouangani.

M. Hamada comparaissait devant le tribunal correctionnel pour avoir détruit sciemment les plantations de M. Saindou, car il estimait que ce dernier occupait le terrain illégalement. Ledit terrain n’appartenait pas davantage, sur le plan légal, à M. Hamada, mais sa famille le cultivait depuis des décennies. Cette destruction de champ était donc une vengeance personnelle consécutive à un conflit foncier qui opposait les deux hommes depuis plusieurs années.

Un casse-tête

Sur notre île, la problématique du foncier s’apparente à un véritable casse-tête chinois. La principale raison est que les plans de cadastres n’étaient à l’origine pas écrits. Répartitions de terrains à l’amiable, recommandations des chefs de villages ou des cadis, lois orales… c’était une autre époque. Problème: L’absence de titres de propriété écrits a laissé le champ libre à de nombreux usurpateurs (de bonne ou de mauvaise foi), de sorte que bien malin est celui qui, aujourd’hui à Mayotte, saurait dire avec précision à qui appartient de nombreuses parcelles.

Avec le passage de la tradition orale à la loi écrite, les autorités tentent tant bien que mal de débroussailler ce capharnaüm, mais la tâche est extrêmement complexe. De nombreux conflits fonciers sont donc toujours en cours et certains s’étendent sur de très longues périodes. Ils opposent soit deux familles entre elles, soit l’Etat ou la collectivité et des particuliers. Certaines personnes cultivent en effet un terrain public depuis plusieurs décennies sans comprendre que ce dernier est en réalité la propriété de l’Etat qui pourrait être en mesure de les reprendre à tout moment.

tgi-mamoudzou-codesDans l’affaire Saindou-Hamada, le conflit a dégéné en insultes, destructions de champs et violences et se retrouve donc entre les mains du juge Banizette.

Un coup de colère

Le dossier est un peu particulier. La parcelle de terrain en question appartenait en réalité au conseil départemental. La famille de M. Hamada la cultivait depuis plusieurs décennies jusqu’au jour où M. Saindou est arrivé et s’est approprié une partie du champ. «C’est la mairie de Ouangani qui me l’a donnée», affirme-t-il d’abord. Il a ensuite prétendu avoir acheté l’ensemble du terrain à la mairie. Or il n’a en sa possession aucun documents officiels permettant de prouver ses dires…

De son côté, M. Hamada a prétendu avoir détruit les plants de maïs de M. Saindou sur un coup de colère parce que celui-ci avait proféré des injures raciales envers sa mère, d’origine anjouannaise. En outre, si un plan de cadastre a bien été établi, aucune des deux parties n’a été capable de le lire et le spécialiste promis par la préfecture ne s’est jamais présenté…

200 euros d’amende

«Je n’ai pas les éléments nécessaires pour dire à qui appartient en réalité ce champ», tranche le président. «En outre, il n’est pas de mon ressort de régler un conflit foncier, mais simplement de juger cette histoire de maïs coupé». Il rappelle à M. Hamada que, quand bien même le champ n’appartiendrait pas à M. Saindou, détruire ses plants de maïs équivaut au délit de «destruction du bien d’autrui». Il le condamne donc à payer 20 jours amende à 10 euros. Une peine adoucie par rapport aux réquisitions du procureur Philippe Léonardo qui demandait 30: «Personne n’est censé se faire justice lui-même».

«Ce n’est pas une histoire à amener devant un tribunal, les conflits fonciers ne sont pas de notre ressort», concluent de concert le juge et le procureur. Si M. Banizette condamne M. Hamada pour son délit, il n’en a pas moins réprimandé M. Saindou qui ne lui a pas semblé «très conciliant dans cette histoire». Le juge les a ensuite enjoint à trouver une solution amiable quitte à passer par un médiateur, cadi ou avocat. «En tout cas, je ne veux plus voir cette affaire passer devant un tribunal».

Nora Godeau

*Les noms ont été modifiés

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