Du plus loin que se souvienne Soufiani Malidé, les « kawéniens » sont montrés du doigt : « Lorsque je suis arrivé au lycée de Mamoudzou, j’ai ressenti ces attaques, ‘tu viens de Kawéni, donc tu es un délinquant’ ! »
Maintenant qu’il est Responsable du service des assemblées à la mairie de Mamoudzou, et à la direction des affaires juridiques, il s’investit pour changer le cours du destin, et prouver qu’il n’y a pas de fatalité. Il a pris la présidence de l’association Wenka culture*, une grosse association, créée en 2008.
D’abord, ils ont voulu prouver qu’il y avait de la matière grise, « c’est la 9ème année que nous valorisons les lauréats. Et les reçus au brevet et bac sont en très nette augmentation depuis deux ans. »
L’association compte maintenant 12 BAFA, notamment grâce à l’action des Céméa, « nous ne voulons pas que des exécutants, dans l’association, mais des acteurs dynamiques ». Ce qui permet de proposer aussi un accompagnement des cocos et bacocos (personnes âgées) dans une découverte de l’île ou du musée, ou des opérations de nettoyage. « Nous ne pouvons pas agir que sur une seule tranche de la population, il faut réunir toutes les classes d’âge, ce qui nous a permis de solliciter les adultes sur le changement de mode d’éducation, car beaucoup baissent les bras. »
Les associations, des ponts vers la rénovation du quartier
L’association est financée par la Politique de la Ville de la préfecture, la mairie de Mamoudzou, la CSSM, « et les entreprises de la zone économique comme Bureau Vallée, Sodifram ou Maonet. »
« Nous sommes en train de mettre en place un chantier d’insertion pour rapprocher les jeunes du quartier du milieu professionnel. Nous faisons un suivi personnalisé », explique à son tour Nouisrati Ahmed, Chargée du développement à Wenka culture et détentrice d’un Bafa niveau 1. Une des salariés a passé son niveau 3, elle oriente les enfants sur un jeu de Jungle speed, plus loin, d’autre jouent aux quilles, fabriquées maison.
A l’origine de ce 1er Forum, les associations qui avaient besoin de se faire connaître des habitants, mais on retrouve aussi, sous-jacent, le projet de Rénovation urbaine (NPRU) du quartier, et la nécessité de trouver une cohésion, notamment avec le quartier économique. Assia Mohamed, Responsable de la Maison du projet, siège du NPRU, nous tend un premier livret fraichement sorti, rassemblant les 36 associations des secteurs de la jeunesse, de l’emploi, de l’insertion, de l’environnement, du sport, du social ou de la culture : « L’organisation de la journée s’est faite avec nos partenaires Médecins du Monde et Hip Hop Evolution qui intervient beaucoup à Kawéni. »
Kawéni épargnée par les violences
Les élus communaux étaient présents pour cette grande première, et Sidi Nadjayedine, enfant du quartier, et Adjoint en charge de la politique de la ville, ne cachait pas sa satisfaction : « Nous avons commencé à récolter les fruits de l’investissement de ces associations et du travail engagé avec elles. L’année dernière, alors que l’île était secouée par des évènements sociaux, il n’y a rien eu à Kawéni. Nous poursuivons ces actions en nous appuyant sur le projet de rénovation urbaine. » Un autre forum est en gestation, « pour rassembler les associations de toute la commune. »
Pas facile néanmoins de pérenniser ce milieu associatif qui tient souvent à une personnalité fédératrice au sein du groupe. Si Wenka culture a réussi sa professionnalisation, l’Association Jeunes Kawéni Espoir* (AJKE), qui avait été à l’origine de la construction des bangas communautaires derrière la MJC, a subi quelques tempêtes. « Notre ancien secrétaire a tout démoli sur un coup de colère », explique un des membres. Ils se sont ressaisis, occupent un nouveau local qu’ils partagent avec les Céméa, et continuent leurs actions d’accompagnement des enfants non scolarisés, « nous en avons 35 », et du soutien scolaire pour les autres.
A côté, ça drible sec, les petits footballers de l’Ecole de foot de Kawéni proposent une démonstration, tandis que plus loin, d’autres s’essaient au basket.
Education civique et esprit critique
Elle fait presque office de vétéran : l’association « Amis des Iles » existe depuis 20 ans, et propose, en plus des cours d’alphabétisation, d’accès au droit ou des opérations de nettoyage, une médiation pour les démarches administratives, « lorsqu’il y a un naufrage de kwassa, la PAF ou l’hôpital nous avertit et nous pouvons proposer une participation aux obsèques. » Par la musada, car ils ne sont pas financés.
On intervient aussi dans le nettoyage et le soutien scolaire à l’Union Solidaire de la Propreté Environnementale* (USPE), mais pas seulement, nous explique le vice-président Chamssidine : « Nous proposons aussi des ateliers coutures pour les mamans et les jeunes, des cours d’éducation civiques et citoyens, ou des accompagnement scolaires pour les élèves en cours de décrochage. Nous initions à la poésie en développant l’esprit critique. » Ils fonctionnent uniquement sur les cotisations.
L’Association Jeunes Talents œuvre elle aussi en direction des jeunes en soutien scolaire et propose des animations, grâce au soutien de la politique de la ville et de la mairie.
N’oublier personne
On retrouve le soutien scolaire et éducatif chez la plupart des associations, un focus indispensable au regard des besoins du quartier, « il y a beaucoup beaucoup d’enfants, appuie Dhoirfia, acteur de l’association Action coup de pouce. Lecture et écriture de pièce de théâtre, lutte contre l’illettrisme, ateliers de couture, « pour échanger et partager », sont au programme, grâce à un multipartenariat de la CSSM, de la Direction de la Jeunesse et du Sport, du conseil départemental, de Pôle emploi, ou du Vice-rectorat qui met des enseignants à disposition.
L’organisation de ce 1er Forum a été à la hauteur, avec des chapiteaux dressés la veille. On sent une envie de sortir ce quartier du mauvais lot qu’il semblait avoir tiré. Le président de Wenka reste lucide sur l’ampleur médiatique que prend le moindre fait divers dans ce quartier : « Un dicton dit qu’’un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse’ ». Et nous sommes témoin, elle pousse.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
* Wenka culture 0639 69 33 36, AJKE 0639 67 73 14, USPK 0639 26 26 67, Action coup de pouce 0639 24 07 69
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