C’est la surprise que révèle la première enquête (INSEE Secteur informel) du genre pour l’INSEE, en partenariat avec la Direction générale des Outre-mer, sur des données 2015 : deux entreprises sur trois relèvent du secteur informel à Mayotte, c’est énorme, mais elles créent seulement 9% de la richesse, c’est très faible. C’est à dire 54 millions d’euros quand les 2.400 entreprises du secteur formel en dégagent 525 millions.
Elles sont 5.300 à avoir été répertoriées par l’Institut national de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE). Une étude hors norme qui n’avait jamais été menée en France jusqu’à présent, une méthode sur laquelle nous reviendrons. Les secteurs agricoles et bancaires ne sont pas couverts par l’étude.
Une entreprise ne se déclare pas aux Services fiscaux pour plusieurs raisons, explique Jamel Mekkaoui, Directeur de l’antenne locale de l’INSEE : « Parce qu’elle vient de se créer, parce qu’elle ne le souhaite pas, parce que son responsable n’a pas la nationalité française, par manque de connaissance comptable ou de maîtrise de l’écrit ». Il s’agit essentiellement de doukas (petites épiceries), de petits artisans du BTP, de vendeurs ambulants et de taxis non déclarés.
Le petit garagiste s’en sort le mieux
Sur les 54 millions d’euros de richesse, seuls 2,2 millions sont réinvestis. L’enquête ne donne pas le volume de masse financière qui part vers Anjouan ou les autres îles. Elles font travailler 6000 personnes, mais seules 8 sur 10 emploient, et seulement une personne.
Le secteur le plus productif de richesse est celui de la réparation de véhicule, qui est aussi logiquement celui dont l’activité est continue sur l’ensemble de l’année. Un secteur qui est d’ailleurs plus présent dans le secteur informel que dans le formel. La réputation du « petit garagiste » de quartier qu’on fait travailler au black, reste tenace ! Le commerce de détail génère 25% de la richesse.
Même si c’était intuitif, les chiffres nous disent très précisément qu’il s’agit d’activités de subsistance : non seulement leur productivité est moindre que le secteur formel, mais pire, certaines vendent à perte : « Une sur dix ne connait pas le prix auquel elle a acheté les produits et fixent celui de la revente un peu au hasard, en fonction des prix moyens du marché, et perdent de l’argent sans même le savoir, explique Sylvain Daubrée, Responsable de projets à l’INSEE, qui confirme là le déficit de connaissance.
Les trois-quarts sont nés à l’étranger
Une situation qui peut être mise en relation avec leur période d’activité. Nous avons vu que les réparateurs de véhicules travaillant toute l’année sont les plus productifs, devant ceux qui connaissent un pic d’activité saisonnier, en juin-août, qui correspondent aux grands mariages, au ramadan ou aux vacances, ce sont les activités de transport et de commerce, et enfin, ceux qui ont une activité intermittente, comme la construction, dépendante des chantiers.
Les enquêteurs ont passé du temps pour interroger tous ces petits professionnels en marge de l’activité déclarée. L’impression qui s’en dégage est « qu’ils ne seraient pas contre l’idée de se formaliser si on les forme », constate Jamel Mekkaoui. Mais un obstacle de taille s’y oppose, la régularisation de la situation administrative, « les trois quarts des chefs d’entreprise informelles sont nés à l’étranger, dont la moitié à Anjouan, contre 47% en moyenne dans la population, indique Sylvain Daubrée, « la moitié de ces non natifs de Mayotte sont en situation irrégulière. »
Le niveau d’étude est faible voire inexistant, « 7% sont allés au delà du lycée et 40% n’ont suivi aucune scolarité ». Il y a autant d’hommes que de femmes.
Le potentiel d’évolution vers le secteur formel est donc moins puissant que ce que l’on aurait pu envisager. La seule sortie de l’économie informelle en dépit du faible niveau scolaire, reste l’accompagnement à la gestion et à la tenue comptable.
Une enquête qui ne sera pas renouvelée à la même fréquence que celle sur l’économie formelle.
Anne Perzo-Lafond
lejournaldemayotte