Quel nouveau village sortira du dédale de bangas en tôle qu’est Kawéni ?

Kawéni, c’est à la fois le cœur économique de l’île et « le plus grand bidonville d’Europe », avec 2.300 logements indignes. La question de sa rénovation urbaine soulève donc des contraintes de taille : que faire des cases en tôle ? Comment relier ces différents acteurs ? La population est actuellement invitée à donner son avis*.

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Plan du NPRU de Kawéni

Dessine-moi Kawéni ! Un café concertation se tenait ce mardi matin à Kawéni entre habitants, acteurs économiques, scolaires, usagers du quartier… Peu avaient fait le déplacement, et si l’essentiel du public était composé d’entreprises, beaucoup s’étaient excusées pour avoir un mois et demi de paralysie à rattraper. Des ateliers qui se font dans le cadre du Nouveau projet de Rénovation Urbaine (NPRU). Deux autres se tiendront ces mercredi matin et après-midi.

Il s’agit d’écrire le projet de rénovation, « ou plutôt de développement urbain en ce qui concerne Kawéni », soulignait Philippe Eysseric, directeur du cabinet Techné Cité, qui a fourni un travail considérable. Il a fixé plusieurs axes, l’accès à l’eau potable, à un logement décent, aux voies de communication, qui tournent autour d’un objectif : répondre aux besoins de la population.

Un diagnostic a été fait, et une enquête sociale est en cours : 17.000 habitants ont été recensés par l’INSEE, contre 12.000 en 2012, une forte augmentation donc, et sur les 4.300 logements identifiés, 2.300 sont indignes dont 1.300 sont situés dans une zone à risque. Donc à reloger en urgence. « Qui sont ces derniers habitants ? Ont-ils une situation administrative qui leur permette d’être relogés ? », s’enquérait une architecte du quartier.

Depuis 15 ans dans une case en tôle

Interpellations entre acteurs présents à Kawéni

Stéphanie Goudard, la directrice de Projet de Rénovation Urbaine, rapportait les premiers résultats de l’enquête sociale : « Seulement 10% sont expulsables, 30% remplissent les conditions pour accéder aux logements sociaux, et 40% sont hébergés par des marchands de sommeil. A Bandrajou par exemple, peu d’habitants sont en situation irrégulière. Certains habitants sont là depuis 8 voire 15 ans, et ont toujours une carte de séjour d’un an. » Difficile de se projeter avec un statut provisoire sur une aussi longue période.

« Pourquoi avez-vous laissé ces gens s’installer ?! », provoquait de nouveau l’architecte en interpellant Sidi Nadjayedine, Chargé de la Politique de la ville à la mairie de Mamoudzou et qui manage le NPRU. « D’abord, je n’ai pas de pouvoir judiciaire pour les expulser, répondait-il, ensuite, Kawéni est vu comme le plus grand bidonville de France et même d’Europe. Il faut travailler pour sortir tout le monde de l’insalubrité, que ce ne soit plus un ghetto, et sans considération de nationalité. » Il nous expliquait qu’une réflexion était en cours pour mettre en place des patrouilles de repérage de toute nouvelle tentative d’implantation sauvage.

Pour reloger ces populations, il faut des programmes adaptés. « L’orientation première, c’est le logement », confirmait Philippe Eysseric, ce qui implique un dégagement de foncier, propriété de l’Etat et du conseil départemental dans cette zone, en faveur de la mairie de Mamoudzou qui va devoir organiser l’aménagement de ce vaste quartier.

« Pas de Bagdad café ! »

Le Centre d’Affaires en cours de finition à Kawéni

Se pose la question de la délocalisation éventuelle des entreprises, à l’heure où s’érige un vaste Centre d’affaires, « les entreprises sont inquiètes car elles ont investi depuis longtemps sur ces sites », traduit Alexandre Kesteloot. Hors de question pour Sidi Nadjayedine d’appauvrir le quartier en faisant partir le monde économique. Ce que traduit avec humour le directeur de Mahonet, « d’un café-concertation il ne faut pas basculer en Bagdad Café ! ».

Le projet de rénovation urbaine doit impérativement rendre « perméable » les activités de tous les membres de cette communauté « kawénienne ». Or, il n’y a pas eu de vraie logique d’implantation, notamment pour le scolaire, « il y a 2 collèges, 2 lycées et 7 écoles, mais le vice-rectorat a construit dans l’urgence, et surtout sans équipements sportifs qu’il va falloir construire et rendre accessible à la population », précisait Stéphanie Goudard.

Les acteurs du quartier avaient la parole, les propositions ont fusé. De Alexandre Kesteloot, directeur du Pôle entreprise de la CCI, notamment : « Il doit y avoir un axe dédié à la création d’entreprise, et notamment de mise en valeur de l’économie circulaire, qui permet de recycler des déchets. Il faut créer des zones d’amorçage qui permettent aux jeunes d’entrevoir toutes les possibilités de ce secteur ».

Cases en tôle à Kawéni

Pour renforcer l’accès à l’emploi, le gérant de Mahonet préconisait de reconcentrer l’apprentissage par un CFA, au plus prés des entreprises, « pour former des réparateurs, des soudeurs que nous pourrions prendre en stage et recruter dans la foulée ».

Le directeur de l’ADIM invoquait plusieurs besoins : le très haut débit, le travail sur les énergies renouvelables et le traitement des déchets. On apprenait qu’un gros projet de Data Center allait s’installer dans la descente Sogéa.

S’il y a urgence, Philippe Eysseric appelait à la réflexion, « nous sommes sur un terme d’aménagement à 2048, il faut donc imaginer avec les réalités d’aujourd’hui, ce que sera Kawéni dans 30 ans ! »

Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com

* Mercredi 25 avril à 10h à la Maison du projet à Kawéni (voir affiche)