Si des élus craignent encore de se faire taper sur les doigts, la tendance a évolué, et ce sont désormais des collectivités dotées de compétences qui demandent maintenant… des comptes, et font part de leurs difficultés à Christian Colin, président de la CRC, actuellement à Mayotte à l’invitation du Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT).
C’est rare de la part de la CRC, alors commençons par un satisfecit : « En 2016, on enregistrait pour Mayotte une quarantaine de contrôles budgétaires qui asphyxiaient le fonctionnement de la CRC, au point s’entraver son accompagnement aux collectivités. Et en 2018, nous n’en avons que 7 ! Car vous travaillez avec les services de l’Etat, et certains maires nous écrivent même pour informer de la mise en place des mesures de rattrapage. » Une évolution positive à mettre sur le compte du « rapport sur la départementalisation de Mayotte qui donnait des pistes d’amélioration. » Mayotte représente un tiers des masses totale régionale à contrôler.
Au regard de la profusion d’interventions ce mercredi, on mesure le besoin d’information et de relais qu’ont les collectivités, notamment pour dialoguer avec le Comptables public, son directeur Jean-Marc Leleu étant très souvent interpellé lors de ce débat, et même applaudi ! Beaucoup de sujets concernaient les délais et les difficultés de paiements des factures. L’ancien DGS de la mairie de Mamoudzou se plaignait d’une complicité entre la Chambre régionale des comptes et ledit Comptable : « Il arrive qu’un acte, non invalidé par le contrôle de légalité, ne soit pas payé par le comptable, alors que la trésorerie est là. Souvent parce qu’on a eu un avis de la CRC. »
Chère nuit parisienne
Dans ce cas, la collectivité peut « réquisitionner le comptable », informait Christian Colin, « vous lui ordonnez de payer, et dans ce cas, c’est vous qui endossez la responsabilité judiciaire ». Un dispositif qui passe par la Chambre.
Parmi ces actes objets de discorde, figurent en bonne place les frais de déplacement, problématique qui faisait même l’unanimité : « Ne croyez pas qu’on parle là de gaspillage. Mais vous vous basez pour rembourser sur un décret qui fixe la nuitée d’hôtel à 60 euros à Paris, or, le tarif le plus bas de l’Ibis Budget bleu, est à 88 euros quand on a la chance d’avoir une chambre. Quand nos collègues martiniquais s’offrent des chambres à 300 euros. Pourquoi une tolérance à double vitesse ?! », interpellait Mohamed Moindjee, Chargé de l’aménagement et des Transports à la mairie de Mamoudzou.
« Je n’ai pas la compétence sur les budgets martiniquais, mais sur ma zone, nous sommes aussi exigeants à Mayotte qu’à La Réunion où on nous fait les mêmes reproches. Le problème est donc politique, puisqu’il porte sur le décret. Il faut interpeller vos parlementaires. »
Délais de paiement : la Trésorerie municipale en cause
Autre grande difficulté, les délais de paiement, comme le rapportait Anassi Daniel, DGS de l’intercommunalité 3CO : « Nous transmettons les mandatements au Comptable public, mais bien que nous ayons la trésorerie, le délai de 30 jours imposé par les textes n’est pas respecté, ‘par manque de personnel’, nous explique-t-on ».
Même si Jean-Marc Leleu en convenait « la DRFIP n’est pas toujours exemplaire », le problème est ailleurs pour lui : « Sur nos trois services de paie, l’Etat est payé à 7 jours, le conseil départemental pareil, les seules lenteurs sont du côté de Trésorerie municipale, avec laquelle nous sommes quand même passés de 28 jours à 12 jours de délai de paiement ». Il invite donc toute situation anormale à lui être signalée par mail drfip976@dgfip.finances.gouv.fr, et à dématérialiser pour gagner du temps.
« Il y aura des dégagements d’office ! »
Et puis il y a aussi les mauvaises gestionnaires, ces collectivités à la trésorerie exsangue une fois les salaires payés, « pour accroitre vos recettes fiscales, travaillez sur le rattrapage cadastral et l’adressage », suggérait Christian Colin. Mais peu de marge en réalité, rappelle Mohamed Moindji, « entre les 40% de population au chômage, les 40% en situation irrégulière, le tout à recouper avec les 84% sous le seuil de pauvreté, nous avons des moyens limités confrontés à des dépenses obligatoires illimitées. »
Accroître les recettes, c’est aussi être rigoureux, rappelait le président de la Chambre des Comptes, « et ne pas utiliser dans un plan de financement une ligne de crédits à une autre affectation ». Peut-être voulait-il parler de celle qui était inscrite au programme opérationnel des fonds européens à la sécurisation de la piste d’aéroport et finalement affectée par la préfecture en 2015 au port de Longoni…
Les fonds européens, source de financement non consommée se plaignait-il encore une fois, avant de lâcher « il va y avoir des dégagements d’office* ! », alors que l’ex SGAR Pierre Papadopoulos a toujours affirmé le contraire. Christian Colin était rappelé à l’ordre par l’assistance, « les fonds européens sont sous autorité de gestion préfectorale », même pire puisque du côté de Bandrélé on lui reprochait sa vision « condescendante » des collectivités mahoraises. La preuve que les collectivités sont désormais divisées en deux groupes, les leaders qui ont investi dans les compétences, et les autres, toujours visées par le préfet et la CRC.
Nul doute que ces échanges vont enrichir les prochains rapports. Dans l’après midi, une formation des cadres était prévue sur les contraintes nées des évolutions législatives et règlementaires.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com
* Les demandes de paiement qui n’ont pas fait l’objet de dépenses certifiées par l’autorité de gestion dans les deux ans sont dégagées d’office par la Commission européenne