A la suite d’une proposition des députés Ericka Bareigts et Daniel Fasquelle de décembre 2015, le ministre de l’économie et des finances Michel Sapin a saisi le 16 décembre 2016 l’Autorité de la concurrence d’une demande d’avis concernant la situation concurrentielle sur le marché des matériaux de construction à Mayotte et à La Réunion. Elle vise notamment à réduire le coût de la construction des logements sociaux et des ouvrages d’art publics (comme la route du littoral à La Réunion) dans ces deux territoires, dans un contexte de lutte contre la vie chère et de croissance démographique importante.
Rejoignant les travaux déjà conduits par les Observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) en 2014 et 2015, l’Autorité constate des différentiels de prix élevés avec la métropole pour les matériaux de construction : + 39 % à La Réunion et + 35 % à Mayotte, alors que l’écart du niveau général des prix dans ces deux territoires est de + 7 %, ainsi que des niveaux de marge commerciale très importants pour nombre de ces produits.
Ces prix élevés ont un impact économique important dans la mesure où « les matériaux de construction représentent près du tiers du coût de la construction d’un logement dans ces territoires. En réduisant leur niveau à celui de la métropole, ce coût baisserait donc de 12 % en moyenne. La question est cruciale dans un contexte de crise du logement et d’accroissement démographique dans les territoires concernés ».
Les facteurs sont multiples. Tout d’abord, dans les départements et régions d’Outre-mer (DROM), la petite taille des marchés et leur éloignement des principales sources d’approvisionnement, sont des obstacles naturels à l’obtention de prix comparables à ceux de la métropole.
L’Autorité analyse que la grande majorité des matériaux de construction étant importés, ils sont impactés par le coût élevé du transport, « accru à Mayotte par des difficultés de gestion du port ». Sont aussi en cause les difficultés de stockage « en raison notamment de la rareté du foncier entraînant un gonflement des loyers commerciaux qui se répercutent sur le prix des matériaux ». À titre d’exemple, « les locaux de stockage à Mayotte sont proposés à des loyers d’environ 25 euros/m2, contre 7 à 10 €/m2 en petite couronne parisienne. »
Éloigner le bruit toutes fenêtres ouvertes
Ou encore des normes inadaptées aux spécificités d’outre-mer, accroissant leur dépendance par rapport à la métropole : « Les normes d’isolation phoniques paraissent peu pertinentes dans des zones tropicales où les portes et fenêtres des habitations non climatisées peuvent rester ouvertes une grande partie de la journée compte-tenu de la douceur du climat. »
Et l’obtention d’une certification CE ou NF dans les matériaux utilisés génère « une forte dépendance des territoires ultramarins aux importations européennes et en provenance de métropole. Beaucoup des produits importés doivent passer par l’Union européenne afin d’y obtenir la certification. »
Enfin, la concentration des acteurs en position oligopole (faible nombre de vendeurs), à La Réunion et encore plus à Mayotte, ne joue pas en faveur d’une baisse des prix. Surtout que la plupart sont présents sur toute la chaine d’activité, de la fabrication à la distribution.
Cette faible concurrence se constate « dans les niveaux de marges commerciales des différents matériaux de construction. A La Réunion, les taux de marge dans le ciment peuvent aller jusqu’à 90 % et ils sont en moyenne de 80 % dans les carreaux de céramique ».
Des centres de stockage mutualisés
L’Autorité fait des propositions. La première est d’adapter les normes aux contraintes locales, en faisant une revue « norme par norme » et « territoire par territoire », pour décider « soit de la conserver, soit de la modifier, soit de la supprimer ». Et sur le sujet des certifications, elle propose de mettre en place une équivalence entre produits de normes CE et produits étrangers « réputés de qualité équivalente », ce qui faciliterait le recours aux importations dans l’environnement régional proche. Il faut également favoriser l’implantation d’antennes locales de bureaux de certification nationaux.
Deuxième proposition : inciter l’arrivée de nouveaux opérateurs, ainsi à La Réunion, « l’arrivée d’un 3ème importateur de ciment a conduit à une réduction des prix de vente ». Et engager, par l’intermédiaire de l’OPMR, le développement de structures de mutualisation des achats de matériaux de construction, par exemple au profit des petits distributeurs comme les doukas à Mayotte, ce qui a été fait pour les produits alimentaires.
Dans ce même esprit, « engager des projets de création de centres de stockage départementaux » (projet engagé par l’interco de Petite Terre), « encourager les pouvoirs publics (État et département) à améliorer la gestion du port de Longoni, mettre à l’étude une filière d’importation directe de ciment en provenance de l’île Maurice vers La Réunion, sous réserve du respect des normes européennes ou de normes équivalentes ».
L’avenir prometteur de la brique de terre
Le développement des filières locales pour la production des matériaux de construction permettrait de limiter l’importation, facteur important de surcoût, et accompagnerait la naissance de filières, créatrices d’emplois et de savoir-faire locaux. « A cet égard, les isolants biosourcés et les briques de terre compressées mahoraises apparaissent comme prometteurs ».
Si l’extension du bouclier qualité-prix aux matériaux de construction apparaît « complexe et peu adaptée » à l’Autorité de la concurrence, elle préconise à Mayotte de mettre en œuvre à titre expérimental les dispositions relatives au prix d’achat plafond des petits commerçants auprès des distributeurs de grandes et moyennes surfaces.
Enfin, les marges sont visées avec un accès à la connaissance des marchés par les pouvoirs publics, « notamment les différents prix de gros et de détail pratiqués et le niveau des marges. Pour cela, l’obligation de publication des comptes sociaux des acteurs doit être une priorité. Pour les éléments plus détaillés, couverts par le secret des affaires, il pourrait être envisagé une séparation fonctionnelle entre les services techniques et les membres de OPMR eux-mêmes, qui n’auraient accès qu’à des données agrégées. »
Dans son avis, l’Autorité évoque d’autres pistes, notamment une régulation des prix pour les granulats et le sable mahorais, « caractérisés par un duopole de producteurs-transformateurs-distributeurs, ETPC et IBS, et des prix et des marges élevés ».
Il ne s’agit que d’un avis consultatif, ses recommandations n’auront de portée que par la volonté politique de les faire appliquer.
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com