L’universitaire Laurent Tesoka, Maitre de conférence et directeur de l’Institut de Droit Outre-mer (IDOM), venait d’expliquer, comme l’avait fait avant lui il y a un an son pair Thomas Msaïdié, que notre collectivité n’ayant jamais exercé le rôle de Région, en tout cas pas juridiquement, elle n’était pas considérée comme un département tel que le sont La Réunion ou la Guadeloupe. Ça ne fait rien, son appel à renommer la collectivité « qui n’est pas un département « , a fait des vagues dans l’assistance.
Mayotte est inscrite au Livre 3 du Code général des Collectivités territoriales, celui des départements, comme ce fut rappelé plusieurs fois en matinée, et non au 7 comme les autres, celui des département-région, ce à quoi elle prétend.
« Je comprends que la population soit attaché au terme de département, statut acquis de longue lutte, à forte portée symbolique et sécurisant », poursuivait-il pour calmer l’assemblée. Et Mayotte est bien intégrée dans la Constitution, et ne peut pas en sortir. « Mais ce mot de département n’a plus de sens dès lors que vous devenez une vraie assemblée unique, ayant la double compétence, comme vous le demandez », poursuivez l’universitaire après que la conseillère départementale Fatima Souffou ce fut émue, et que ça murmurait sec dans l’assemblée, « ça fait un choc ! »
Remettre dans les mains des Mahorais les clefs de leur avenir
Un choc surmontable dès lors que Mayotte veut réellement s’aligner, ou au moins s’inspirer de la Guyane ou de la Martinique. Ces deux départements sont devenus collectivités uniques, mais après être passés par la phase double assemblée, conseil général et conseil régional. Ce que Mayotte n’a jamais connu, ayant immédiatement été nantie d’un statut réducteur. Le Colloque organisé par le président du département Soibahadine Ibrahim Ramadani va donc permettre de faire un grand pas, en produisant un texte qui doit inspirer un projet de loi, « la loi Mayotte ».
Un pas tout d’abord dans un nouveau nom pour Mayotte. L’idéal serait collectivité départementale, mais non merci, on en sort ! « Ou Collectivité de Mayotte ? »
Mais la réelle avancée, est de remettre dans les mains et dans le cerveaux des Mahorais, les clefs de leur avenir : « Ayez de l’imagination. Vous pouvez adapter ce que vous voulez, l’article 73 de la Constitution le permet, il est sous-utilisé par la plupart des Outre-mer. Vous pouvez aussi accepter ou refuser des compétences anciennes ou nouvelles. Par exemple, juger que la gestion du port est trop complexe, et le faire évoluer en un Grand Port Maritime géré par l’Etat. Ou, refuser de récupérer les constructions couteuses de collèges. »
Le Think-tank des élus de Mayotte
Car si les compétences reprises à l’Etat sont compensées financièrement, elles le sont à l’année n-1, « or, pendant ce temps, les charges augmentent, plongeant les collectivités dans des difficultés de trésorerie », nous confiait Laurent Tesoka.
Et pour adapter les textes de loi, il est possible de le faire par le haut ou par le bas. Dans le premier cas, le législateur adapte les normes à la situation mahoraise. Mais il faut l’y aider… Vous pouvez créer le Congrès des élus de Mayotte, composé des élus de la collectivité département-région, des parlementaires et des maires, pour discuter entre vous de l’adaptation des normes, et ainsi l’Etat aurait un interlocuteur unique, et les élus Mahorais auraient une meilleure visibilité. » Il serait présidé par le président de la Collectivité qui le convoquerait.
Utiliser les cerveaux locaux
Quant à l’adaptation par le bas, les élus peuvent proposer des expérimentations de certaines normes. L’universitaire avait expliqué au JDM que les nouveaux programmes scolaires sont adaptés aux autres territoires ultramarins, « pas à Mayotte. » certains domaines sont exclus du champs, essentiellement ceux de compétence régalienne, comme la nationalité, le droit civique ou pénal, l’organisation de la justice, la Défense, etc.
Ce qui nécessite là encore de fédérer les réflexions, au sein d’une seconde structure, « elle pourrait s’appeler Haut Conseil de l’adaptation et de suivi des normes à Mayotte. Parce que vous ne pouvez pas attendre de l’Etat une expertise. Et ainsi, vous limiterez les recours aux cabinets conseil et autres fournisseurs de rapports. »
Une après-midi dense, avec des échanges intenses qui se sont poursuivis avec une assemblé beaucoup plus réduite que ce matin, mais composée d’élus et de cadres impliqués dans cet avenir nouveau qui se dessine.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte