Tout est parti de l’interpellation d’un escroc présumé sur Petite Terre le 22 novembre dernier. La procédure reconnaît à ce Français né à Mayotte « une polyvalence dans le rayon des escroqueries ». Lors de son audition, les enquêteurs lui demandent si, par hasard, il n’aurait pas reconnu des enfants qui ne sont pas de lui. Sans détour, il avoue avoir reconnu deux bébés, en 2010 et 2011, nés de deux mères comoriennes. « j’ai été généreux avec ces deux femmes sans papiers » commence-t-il par expliquer aux policiers avant d’admettre avoir « reçu des faveurs sexuelles en retour ». Il donne le nom des deux femmes en question, et tous les trois sont convoqués au tribunal.
Ce mercredi, seules les deux mamans étaient présentes à la barre, le Français étant excusé pour raisons professionnelles.
La première dame explique avoir « fait ça car je ne trouvais pas de mari français. On sortait ensemble et il m’a proposé de reconnaître l’enfant, je vivais avec lui et avec le vrai père en même temps ». Une explication qui interpelle le président Rodriguez. « Pourquoi vous n’avez pas demandé au vrai père de reconnaître l’enfant ? »
Trois à six mois de prison avec sursis requis
« Je sortais avec les deux, et je ne savais pas encore qui était le père biologique. C’est à l’accouchement que j’ai vu que l’enfant ressemblait à l’autre. » Celle-ci était poursuivie pour complicité, étant allé à l’Etat civil reconnaître l’enfant en compagnie du faux papa.
L’autre prévenue explique être « venue en kwassa avec (son) fiancé ». Arrivée à Mayotte, elle rencontre le Mahorais. « J’étais avec mon fiancé et en même temps, avec A.A » explique-t-elle à la barre. Dans ce cas, pas de doute possible sur la paternité en revanche, puisqu’elle était enceinte en arrivant à Mayotte. « j’étais tombée enceinte et mon fiancé ne pouvait subvenir à mes besoins, alors je suis sortie avec lui. »
Une position qui a fait bondir la substitut du procureur Morgane Pajak-Boulet. « Vous trouvez que c’est bien pour vos enfants ? Vous faîtes débuter leur vie sur un mensonge, vous trouvez ça bien ? »
« Non, répond l’une d’elle, j’ignorais que j’allais avoir des problèmes ».
Désireuse de leur faire comprendre que les pires conséquences ne sont pas pour elles, la procureure reprend. « Donc toutes les deux vous avez d’abord pensé à vous, avant de penser à votre enfant et à son avenir. Ils ont un état civil qui est faux, ça va leur poser quelques problèmes pour leur évolution dans la société française. » La représentante du ministère public voit dans cette reconnaissance frauduleuse « des manœuvres pour tromper l’Etat français qui vous accueille sur son sol, je trouve ça déplorable, c’est une véritable tromperie. Il y a des procédures pour avoir une carte de séjour, c’est plus long et ça demande plus de sérieux, mais ça marche quand même. »
La volonté d’une vie meilleure
Concernant l’homme absent, la procureure dénonce « des raisons malsaines, il ressort de manière claire qu’il a accepté ces reconnaissances pour faire durer les relations sexuelles qu’il entretenait avec ces femmes. » Elle requiert 6 mois avec sursis contre lui, et 3 mois contre chaque maman. Non sans rappeler que la peine encourue est de 5 ans ferme.
Pour Me Ibrahim, avocat d’une des deux femmes, la réalité est tout autre.
« Ces derniers temps, on a assisté à des événements qui nous ont fait réfléchir à notre avenir. La classe politique comorienne a fait de Mayotte une monnaie d’échange. Mais si aujourd’hui vous demandez s’ils veulent rester comoriens ou rejoindre la France, ils diront tous qu’ils veulent la France. Ils se disent, si moi je ne suis pas français, mon enfant, lui, sera français. Ce sont des femmes qui pensent d’abord à l’avenir de leur enfant, insiste-t-il, pour contrecarrer l’intervention du parquet. Les notions de nom, de prénom, d’appartenance familiale, ils n’en ont rien à faire, poursuit-il. Si vous leur proposez de changer de nom pour être français, elles vont dire oui. Ce qui importe, c’est la nationalité française et tout ce qui vient derrière, avoir une situation meilleure dans le futur. Si elles ont choisi le papa qui avait la nationalité française, c’est une façon d’offrir à leur enfant la perspective d’une vie meilleure, pour cet enfant-là. Pour nous, c’est intolérable, mais pour elles, ce n’est pas qu’un changement de nom, c’est une façon de s’en sortir. »
Défendant le Mahorais, Me Ekeu rappelle qu’il n’a « pris aucun centime » et invite à croire à l’argument de la générosité de son client. Tous deux demandent la clémence.
Peine perdue pour le Français qui a vu sa condamnation portée à 1 an de prison avec sursis et 2000€ d’amende. Les deux mères écopent quant à elles de 2 mois de prison avec sursis.
Y.D.