On connaît Saandati Moussa pour ses chansons engagées, sa défense des femmes battues, son message de prévention des grossesses précoces, et surtout, sa gouaille contre l’infidélité des hommes, dans « Dago », à faire trembler les ondes !
Sarah Médard, son visage ne vous dit sans doute rien, mais parions que vous vous êtes déhanché sur « Tsina moina probleme », un sacré problème en vérité, puisqu’elle chante sur un rythme coupé-décalé, le cœur d’une femme qui hésite entre deux hommes. Un tube qu’explique l’artiste d’apparence mesurée, « en fait, ce disque était une erreur du monteur. Pendant que ça discutait dans le studio, j’ai commencé à dire n’importe quoi au micro pendant que quelqu’un improvisait à la guitare, et ça a marché du tonnerre ! »
C’est la première fois que les deux femmes se retrouvent pour un duo. Leurs trajectoires s’étaient croisées, Saandati avait été choriste de Sarah, qui craque par la suite pour le « Mtroumama Karemwa » de sa copine, mais elles ne font que partager des scènes, sans collaborer.
C’est paradoxalement en métropole qu’elles se retrouvent il y a quelques mois. Avant de partir pour suivre à Rennes (Bretagne) une formation d’employée administrative et d’accueil en tant qu’agent du conseil départemental, Saandati écrit le début d’une chanson sur l’insécurité à Mayotte. Elle suit sur les réseaux sociaux le mouvement social « de A à Z », et contacte Sarah Médard, qui prend aussitôt un billet aller Paris-Rennes. « Je souhaitais un regroupement d’artistes, sur le mode des Enfoirés chacun aurait chanté une phrase, mais c’était compliqué », glisse Saandati.
« 10.000 vues en un jour »
Le morceau « Rissouriya » (« On a peur »), uniquement en shimaorais pour l’instant, sans doute prochainement traduit en français, raconte la plongée de Mayotte dans la délinquance : « Je reviens sur la Mayotte d’avant, quand on dormait sans fermer sa porte, alors que nous sommes maintenant barricadés. Les jeunes ne se battent plus avec leurs mains mais avec des armes. C’est un appel aux autorités de ne pas nous laisser nous défendre, mais de nous protéger ».
Conçu au départ sur un rythme m’godro, l’accompagnement évolue vers « un reggae féminin », lance Saandati dans un éclat de rire, que décrypte Sarah, « c’est un façon de chanter le reggae que nous n’avons pas, ça swingue. L’intro, c’est un morceau joué à l’orgue, Kordjee nous a dit, ‘c’est une musique d’église !’ » Ne demandez pas comment l’auteur-compositeur a aligné les notes, les noires et les blanches sont dans sa tête, « je chante au musicien ce que je ressens, je ne sais même pas jouer de la guitare », sourit-elle.
On a rapidement en tête la mélodie du refrain « Rissouriya » du morceau diffusé sur les ondes depuis mardi, « et déjà 10.000 vues en un jour ! ». Le clip est en préparation, tourné notamment sur le terrain de Viviane, une de leurs amies, à Hajangua, « j’espère que le soleil va se montrer », s’inquiète Saandati.
Des prestations non payées
Deux artistes de talent, mais qui ne peuvent en vivre à Mayotte, comme nous l’avions déjà dénoncé : « Ça empire d’années en années, il n’y a plus de scène, nous ne pouvons plus tourner. Les services culture du Département sont aux abonnés absents. Pire, lorsque le festival Hishima existait encore, j’étais l’artiste vedette, j’ai investi pour cette scène, mais on ne m’a jamais versé les 1.000 euros que l’on me devait », relate Saandati. Elles ne tarissent pas d’exemples de musiciens invités à grands frais depuis la métropole et payés, alors que leurs homologues locaux ne sont pas mis en valeur, « c’est ‘désencourageant' », glisse Saandati, en appuyant sur ce néologisme.
Saandati vise aussi la SACEM dont elle avait déjà dénoncé les pratiques « légères » dans nos colonnes : « En 2016, ils m’ont dit que j’étais l’artiste la plus diffusée, et qu’avec le versement des prestations j’allais pouvoir partir aux Etats Unis… le chèque était finalement de 100 euros, et est monté à 600 euros parce que j’ai râlé, mais bien en dessous de ce que ça méritait… ça laisse songeur ! »
Il faut dire que tous les diffuseurs ne sont pas en règle sur les droits SACEM, et d’une autre côté, les artistes sont inégalement informés, souligne Sarah Médard : « A chaque soirée programmée, nous allons déclarer nos chansons à l’organisateur, qui établit une playlist, nous sommes rémunérés sur cette base ». « La plupart d’entre nous ne le sait pas, la SACEM devrait organiser des séquences de formation sur ce sujet », déplore Saandati. Mayotte laisse encore une fois filer ses talents.
Retour à la verdure du terrain de Hajangua, les jeunes femmes se préparent à tourner parmi les fleurs de Viviane et sous le soleil retrouvé. Pas de meilleur contraste pour chanter « Rissouriya » !
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com