La mission d’expertise dépêchée à Mayotte pour nous expliquer où, quand, pourquoi et comment nous tremblons, était au conseil départemental ce lundi matin. A l’origine, le géographe du conseil départemental Saïd Hachim devait y faire la présentation des formations géologiques dans la région et des moyens mis en œuvre pour les appréhender, et le président du conseil départemental en aura profité pour convier les experts « es-risques sismiques ».
Cette fois, c’est face aux inquiétudes de « simples citoyens », comme plusieurs agents se présentaient, et non aux journalistes que se trouvaient Mendy Bengoubou, sismologue à la Direction générale Risque et Prévention, le lieutenant-colonel Olivier Galichet, à la même DGSCGS, et Bastien Colas, Ingénieur du Bureau de Recherches Géologiques et Minière (BRGM).
Immédiatement, nous nous sommes retrouvés par prés de 4.000 mètres de fond, à essayer de comprendre ce qui pouvait bien se tramer sur la croute terrestre : « Pourquoi vous n’envoyez pas de bateau pour aller voir ce qui se passe ? », « Pourquoi il n’y a pas plus d’instruments savants pour nous renseigner sur cette zone ? Qu’est ce qui se passe sous l’eau ? », « Pourquoi vous utilisez toujours le conditionnel pour parler des séismes ? »
Parce que l’origine d’un épicentre ne se voit pas comme une tornade au milieu d’un océan, les experts ont répété les certitudes et les inconnues : « Envoyer un bateau ne nous apportera aucune connaissance rapide sur le phénomène, uniquement à long terme, et nous discutons de cette possibilité en effet dans le cadre d’une poursuite des recherches. Nous avons des certitudes sur l’amplitude des séismes, mais pas sur les durées, qui peuvent aller de 15 jours à plusieurs années. »
La magnitude, une histoire de longueur de faille
Alors qu’une salariée évoquait les inquiétudes de sa mère, cardiaque, et le manque de compréhension du phénomène, Mendy Bengoubou, expliquait comprendre ce ressenti : « C’est normal d’avoir peur, toute personne confrontée à un tremblement de terre a peur. Ce qui nous étonne, c’est que cela dure aussi longtemps. Mais par contre, nous savons que, si une magnitude qui avoisine 6 est possible, nous n’aurons jamais de tremblement de terre comme au Japon ou à Haïti. Tout simplement parce que la magnitude est liée à la longueur de la faille : plus la faille est longue, plus le frottements entre ses deux côtés sont importants, plus la magnitude sera forte. Or, nous connaissons la taille modérée de celle de la zone d’épicentres. »
Par contre, peu d’information existe sur la résistance du bâti après de multiples secousses comme nous en connaissons, « nous n’avons pas de retour d’essaims de magnitude aussi importante de la part d’autres pays. Aux Saintes, en Guadeloupe, plusieurs répliques d’un fort séisme ont eu lieu pendant 14 ans, mais ce n’était pas un essaim », explique Bastien Colas.
Il va donc falloir que chacun d’entre nous passe quotidiennement sa maison ou son lieu de travail en revue, et fasse remonter à sa mairie. La mission a commencé à visiter les habitations qui se font recenser, certaines sont considérablement affaiblies : « Il faut être vigilant, il ne s’agirait pas qu’un secousse supplémentaire fasse s’effondrer la structure », nous explique Olivier Galichet. Surtout, que certains prennent des libertés, « j’ai visité une maison dont le propriétaire avait fait tomber une partie de mur porteur pour réaliser son extension ! », explique Etienne Guillet, le directeur de cabinet de la préfecture de Mayotte.
Un trait de crayon à ne pas gommer
Si vous repérez une fissure qui ressemble à un trait de crayon, il faut surveiller, mais attention si vous pouvez y glisser le crayon, il faut la signaler aux autorités.
Ces incertitudes incitent Mendy Bengoubou a tirer une première conclusion : « Depuis notre arrivée, nous avons décidé d’une première préconisation : mettre en place un groupe de travail avec les ingénieurs structure pour suivre l’évolution des bâtiments. »
Car si certains agents expliquent avoir compris qu’il fallait s’habituer « à vivre avec », ils s’interrogent, faut-il continuer à s’abriter, ou faut-il ignorer les secousses quand elles se produisent ? » Des exercices d’évacuation sont demandés par la préfecture, mais toutes les structures ne le font pas, par crainte de mauvais réflexes, « faut-il évacuer l’étage ou y maintenir les salariés ? » nous interpellait l’un d’entre eux. Etienne Guillet recommandait en effet d’éviter les déplacements, « l’oreille interne a du mal à donner de bonnes informations lorsque l’environnement tremble. »
Un gros travail est en cours avant leur départ jeudi : Travailler sur la sensibilisation et la compréhension du phénomène, avec des rencontres, une nouvelle foire aux questions et une petite vidéo et des expériences avec les enfants, étoffer une Cellule psychologique encore balbutiante, diagnostiquer l’état du bâti… Notamment pour faire remonter les informations quant à un possible placement de l’île en catastrophe naturelle.
Lors de leur retour à Paris, ils envisagent de monter un groupe de travail avec les sismologues de l’Hexagone et internationaux, pour avoir, à plus long terme des réponses plus affinées. Quand on vous parlait de tourisme scientifique !!…
Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com