Terrain Batrolo : la préfecture condamnée

Saisi par des familles délogées la semaine dernière, le tribunal administratif de Mamoudzou a estimé que la préfecture avait enfreint les droits fondamentaux des habitants. Elle doit notamment "proposer une solution concrète de relogement".

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Tribunal administratif, Mayotte, comores
Le tribunal administratif de Mamoudzou

Alors que le département est placé en vigilances aux orages, et qu’il est déconseillé de s’approcher des ravines et des arbres, l’inquiétude monte parmi les familles délogées depuis mercredi dernier au terrain dit Batrolo à Kawéni.

Lundi à l’issue d’une longue audience, le juge des référés, saisi par plusieurs familles, a estimé que le préfet avait violé les droits fondamentaux de ces habitants en les privant de logement et d’eau potable.

Pour le contexte, le tribunal estime que  » Le concours de la force publique ayant été accordé – de manière informelle – aux propriétaires du terrain « Batrolo » à Kaweni (commune de Mamoudzou), suite à des ordonnances d’expulsion obtenues par ceux-ci en 2016, en vue de l’expulsion effective des personnes y ayant édifié en ce lieu des habitations précaires dites « bangas », une opération d’évacuation forcée et de démolition a été menée de manière concertée entre les propriétaires, l’huissier de justice et les forces de l’ordre durant les journées des 12 et 13 décembre 2018. Des heurts sont survenus lors de cette opération, à l’issue de laquelle les familles expulsées sont restées à proximité immédiate du bidonville rasé, vivant désormais sans toit, sans eau et dans un réel état de dénuement et d’épuisement. Parmi les 80 familles concernées (100 adultes et 180 enfants), 9 familles ont saisi le juge des référés sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. »

Opération de démolition de logements illégaux sur le terrain Batrolo à Kawéni (source La préfecture de Mayotte)

Dans sa décision, le tribunal rappelle que « Les requérants soutiennent qu’ils subissent, du fait des agissements de l’administration, une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales. Sont ainsi invoqués la dignité de la personne humaine, le droit à la vie, la prohibition des traitements inhumains et dégradants, le droit à la santé et à la salubrité, le droit à un hébergement d’urgence, les dispositions de l’article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles étant plus particulièrement invoquées sur ce point, le droit au respect de la vie privée et familiale, auquel de rattache le droit à un hébergement digne, et l’intérêt supérieur de l’enfant. »

Or, poursuit le juge, « Il appartient aux autorités de l’Etat, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, de mettre en œuvre le droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale (…) « Il résulte de l’instruction que, suite à l’opération d’évacuation forcée et de démolition à laquelle ont été confrontées les familles expulsées les 12 et 13 décembre 2018, qui s’est déroulée dans des conditions telles que la santé de plusieurs personnes, adultes ou enfants, s’en est trouvée fortement dégradée, l’intervention de « Médecins du Monde » dans la soirée du 13 décembre 2016 ayant permis un début de prise en charge et conduit à neuf hospitalisations, ces familles sont demeurées sans abri et sans accès à l’eau, la fontaine et les latrines du quartier ayant été ravagées en même temps que les bangas. »
Le tribunal administratif a donc estimé que les familles expulsées « ont subi lors des
journées des 12 et 13 décembre 2018 et continuent de subir au jour de la présente ordonnance, du fait de l’administration et sans que celle-ci n’ait exprimé en dernier lieu la moindre intention d’améliorer leur situation, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la dignité de la personne humaine et l’interdiction des traitements inhumains et dégradants ».
Dans ces conditions, il est dès aujourd’hui « enjoint au préfet de Mayotte de mettre immédiatement à la disposition des personnes mentionnées à l’article 2 un accès à l’eau potable et à des sanitaires, ainsi que des matériels tels que tentes ou bâches leur assurant un minimum d’abri ». La préfecture dispose d’un maximum de 48h pour offrir « une solution concrète de relogement ou d’hébergement d’urgence » sous peine d’une astreinte de 1000€ par jour de retard.
Contactée, la préfecture a pris acte de cette décision de justice et ne semble pas « s’orienter vers une demande d’appel ». Une « nouvelle solution de relogement » va donc être proposée aux neuf familles qui ont saisi la justice. Consciente que d’autres familles sont concernées et que cette décision pourrait en entraîner d’autres, les services de l’Etat se disent « en ordre de bataille » et précisent que « la réflexion ne se limite pas à ces neuf familles ». Comprendre que des solutions devraient être apportées à d’autres personnes sans attendre qu’un juge ne condamne encore le préfet sur le même sujet.
Concernant l’accès à l’eau et aux latrines, la préfecture préférerait s’orienter vers « une logique de relogement durable et décente » que des équipements de camping.
Nous reviendrons bien sur sur les mesures qui auront effectivement été prises dans les heures à venir.

Y.D.

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