Maître Mattoir plaide pour la première fois

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Me Kassurati Mattoir

CARNETS DE JUSTICE. La semaine dernière, le JDM vous faisait découvrir Kassurati Mattoir, première avocate mahoraise. Une prestation de serment et un emballement médiatique plus tard, la voici à l’heure de sa première plaidoirie. Un dossier difficile à défendre.

Me Mattoir«Monsieur le Président, messieurs les assesseurs, madame la procureure…» Aux premiers mots de la première plaidoirie de Kassurati Mattoir, on pouvait percevoir un peu de stress, quelques hésitations, une pression particulière comme un comédien qui monterait pour la première fois sur scène. Mais bien vite, la jeune avocate affute ses arguments, prend de l’aisance.

Le dossier qu’elle a à défendre n’est pas facile. Me Mattoir assiste un jeune homme de 21 ans, Malide, poursuivi pour «violence aggravée par 3 circonstances suivie d’incapacité supérieure à 8 jours». Il risque jusqu’à 10 ans de prison.
Les faits qui lui sont reprochés se sont produits le 6 juin 2013, mais l’histoire commence quelques jours auparavant. Plusieurs personnes viennent «interpeller» Malide et un ami leur reprochant de leur avoir voler une chèvre. Les deux voleurs présumés sont séquestrés, maltraités mais Malide parvient à s’enfuir.

Expédition punitive

Quelques jours plus tard, ce fameux 6 juin, Malide et trois compères montent une expédition punitive. Ils se rendent au domicile d’un de leur ravisseur présumé avec la ferme intention d’en découdre. Et ils se sont équipés : chombo, chaîne à vélo, marteau, bâton. «Ce n’est pas un attirail pour discuter, fait remarquer le Président. C’est un équipement pour aller se battre.»
L’homme visé par l’expédition fait sortir sa femme et ses enfants par l’arrière de son banga avant de se présenter sur le pas de sa porte. A l’issue d’une discussion avec Malide, les deux hommes posent leur chobo à terre et décident de se battre à mains nues. Mais le combat va rapidement tourner en bastonnade. Les trois jeunes qui accompagnent Malide se jettent à leur tour sur leur proie. Les coups sont d’une telle violence que, la bagarre terminée, l’épouse croit son mari mort, gisant dans une mare de sang.

60 jours d’ITT

La victime est pourtant encore vivante et se voit attribuer une interruption temporaire de travail (ITT) de 60 jours. Son poignet gauche a été touché par un coup de chombo qui lui a sectionné les ligaments. Il est incapable d’ouvrir et de fermer la main.

Les autres «complices» étant mineurs, Malide comparaît seul à l’audience d’un tribunal qui ne juge que les adultes. Les plus jeunes passeront, à leur tour, devant un tribunal dans les semaines qui viennent.

«Quoi qu’il se soit passé avec le vol de chèvre, ça ne vous autorisait pas à faire ce que vous avez fait. C’est une explication, pas une excuse», assène le Président Rieux.
Malide est né à Koungou mais il ne parle pas Français. Il n’est allé à l’école que jusqu’en CM2, il ne sait ni lire ni écrire.
«La plupart des jeunes en échec scolaire qui trainent dans la rue tombent dans la délinquance, fait valoir Me Mattoir. Pourtant, Malide n’est connu de personne, ni la police, ni la gendarmerie, ni la justice.» En effet, Le casier judiciaire du jeune est vierge, ce qui a étonné la procureure : «C’est très étonnant d’avoir un tel déchaînement de violence de la part d’un jeune homme qui se comportait jusqu’à présent de façon civile et régulière.»

« La réponse doit être l’éducation »

Me Mattoir se fait pédagogue. «L’expédition punitive est une pratique qu’il n’a fait que répéter. A Mayotte, de tout temps, lorsque les personnes se disent victimes, elles cherchent les coupables. Ce contexte ne peut pas être considéré comme une excuse, mais c’est une répétition de bêtises d’adultes. Malide a arrêté l’école en CM2. Il ne connaît pas la société. Son éducation n’est que celle des adultes autour de lui.»
«Aujourd’hui, la réponse pénale doit être l’éducation pour ne plus qu’il se fasse justice lui-même», conclut l’avocate.

Malide écope de 18 mois de prison avec sursis mais surtout de 200 heures d’intérêt général et d’une obligation de suivre une formation, une tentative de la justice pour l’insérer, enfin, dans une vie sociale. Malide devra aussi indemniser la victime : 5.000 euros de préjudice pour les cinq mois passés sans pouvoir travailler et 3.000 euros de dommages et intérêts qui pourraient encore être alourdis après expertise médicale.

Ce mercredi, dans la salle d’audience du Tribunal de Grande instance de Mamoudzou, Kassurati Mattoir est concrètement devenue avocate.
RR

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