Plusieurs professionnels de santé sous un même toit, c’est le challenge relevé par 7 d’entre eux à Cavani. Ils ont choisi de se regrouper au sein d’une Maison de Santé Pluriprofessionnelle (MSP) pour proposer une meilleure offre de soin à leurs patients. Mais ces derniers se tournent vers l’hôpital, aux prestations gratuites, mais au bord de l’implosion. Sourd aux mesures pourtant attendues en urgence, le gouvernement est accusé d’inertie.
Les Maisons de Santé Pluriprofessionnelles ont été pensées pour assurer le maintien d’une offre de soin dans les territoires où la démographie médicale est fragile.
Inaugurée le 1er mars 2015, celle qui deviendra la Maison de Santé de Cavani* lorsque l’Agence Régionale de Santé lui aura délivré l’agrément, veut créer une offre de soin polyvalente avec deux médecins généralistes, Mohamed-Sophian Jaouadi et Alain Casanova, un ophtalmologiste Abdéli Ouadah, une infirmière Miftahou Carpentier, une sage femme Vanessa Cron, un kiné Fabrice Lang et bientôt un chirurgien dentiste, Olivier Duret.
Pour être référencés par l’ARS, et bénéficier d’éventuelles aides, ils doivent obligatoirement porter un projet de santé, nous explique le docteur Abdeli Ouadah : «Nous avons défini des objectifs qui sont tournés vers l’autonomie du patient. Il peut s’agir de l’éducation des diabétiques à pratiquer leur propre injection. Nous serons amenés à travailler avec les réseaux existants, RéDiabYlang dans ce cas. »
Fichier partagé
La grande avancée, c’est le fichier partagé : «Sous réserve de confidentialité, chacun de nous peut accéder aux données médicales du patient que nous évoquons lors de nos réunions de concertation.» Ils se réunissent deux fois par mois, «et bientôt toutes les semaines».
Le docteur Mohamed-Sophian Jaouadi donne l’exemple d’un patient qui viendrait consulter pour un mal de tête, lié à un problème d’yeux, «je peux l’envoyer immédiatement vers mon confrère, qui peut éventuellement le recevoir. »
Fait assez rare pour être souligné, Mohamed-Sophian Jaouadi est un médecin fraîchement arrivé de Paris, Boulogne-Billancourt plus exactement : «J’avais envie de me rendre utile plus que je ne le faisais à Paris avec une clientèle huppée. »
Sa salle d’attente se remplit lentement, un peu trop lentement au goût de son confrère Abdeli Ouadah : «A Mayotte, les médecins libéraux sont victimes d’une concurrence déloyale de l’hôpital ! Tout est gratuit, même les médicaments. De plus, nous assistons à une paupérisation de la population, certains n’ont même plus l’argent pour prendre le taxi.» En découle ce que le médecin demande au nom de sa profession depuis trois ans maintenant, la mise en place nécessaire de la CMU-C à Mayotte, la part complémentaire des dépenses de santé.
4 millions d’euros pour la CMU-C « une goutte d’eau »
Elle permettrait aux patients de ne rien payer lors de consultations dans le secteur libéral, et donc de désengorger l’hôpital dont les services sont saturés. «Les gens n’osent même plus aller au dispensaire (service du CHM) tellement c’est saturé. Donc, les pathologies s’aggravent, accroissant le coût pour la société. Et l’hôpital va imploser faute de médecins, et malgré les offres alléchantes en billet d’avions et frais payés», constate Abdeli Ouadah.
La CMU-C est toujours vue par l’Etat français comme un risque d’appel d’air en provenance d’Union des Comores, «alors qu’elle est appliquée sur un territoire à forte pression migratoire comme la Guyane, où les médecins libéraux bénéficient aussi d’aides à l’installation», rajoute le docteur Mohamed-Sophian Jaouadi.
Et selon les praticiens, le coût de la mesure CMU-C aurait été évalué à 4 millions d’euros de prise en charge par l’Etat, «une goutte d’eau au regard de ce que coûte l’immigration clandestine, mais qui pourrait sauver la médecine libérale ici».
« Les sommes du CHM sont détournées »
Une autre mesure est invoquée : la Zone franche d’activité (ZFA) et ses exonérations de cotisations, « les experts comptables en bénéficient à Mayotte, mais les médecins sont exclus du dispositif ».
Des doléances qu’ils ont portées auprès du conseiller de Manuel Valls lors de son passage à Mayotte, qui avait également reçu les médecins hospitaliers, «mais il nous a annoncé en fin d’entretien qu’il quittait le cabinet deux jours après», s’emporte le docteur Ouadah. De là à entrevoir une inertie volontaire, il n’y a qu’un pas : «Ils attendent que le secteur de la santé finisse par sombrer. Nous demandons juste à avoir les mêmes règles que dans les autres départements, et non une amputation de la retraite de 40% comme c’est actuellement le cas.»
Selon eux, les médecins du CHM réfléchiraient à exercer leur droit de retrait, «alors que les plaintes ont explosé pour défaut de prise en charge». Les sommes allouées par l’ARS au Centre hospitalier de Mayotte, très inférieures au budget colossal du CHU de La Réunion, sont «détournées» pour les médecins mahorais. Tout le secteur participe aux soins à donner à une population «clandestine» non solvable, sans que l’Etat ne différencie les deux problématiques : assumer son rôle social tout en proposant une médecine de qualité.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte