Deux tomes soit 160 pages pour analyser le pilotage de la protection de l’enfance à Mayotte. L’IGAS a publié les conclusions de sa mission d’appui réalisée à la demande du département de Mayotte.
Une nouvelle fois, le constat est sans détour sur la situation sanitaire qualifiée de «préoccupante» mais le rapport propose surtout des pistes et fait des propositions très particulières pour notre département. En effet, ces recommandations n’hésitent pas à casser les schémas de l’organisation traditionnelle du système de santé français. Car pour le rapport, «l’application sans discernement du droit commun a pour conséquence de faire peser sur les acteurs locaux (ARS, CHM, département, professionnels) des obligations qui sont insoutenables dans le contexte mahorais».
L’Igas propose donc au ministère de la Santé et des Affaires sociales des solutions pour le moins innovantes. Par exemple, le rapport souhaite «aménager un cadre législatif et réglementaire permettant, à titre dérogatoire, aux infirmiers exerçant leur profession à Mayotte de pratiquer de manière autonome certains actes médicaux et de prescrire, le cas échéant, des médicaments». Autrement dit, face à la pénurie, le rapport préconise de permettre aux infirmiers de prendre le relai et de jouer le rôle des médecins dans des conditions très précises. Une proposition absolument inédite.
Le CHM en appui des PMI
Autre piste avancée, l’idée d’autoriser les médecins de la protection maternelle infantile (PMI) à pratiquer des actes thérapeutiques, à prescrire des médicaments aux usagers de ce service et, «le cas échéant», à participer à l’offre de soins de premier recours assurée par le CHM.
Toujours du côté des PMI, le rapport rappellent qu’elles «occupent à Mayotte une place essentielle dans la prise en charge sanitaire et sociale des mineurs et des femmes enceintes». Elles suivent «le développement de deux grossesses sur trois et de 4 enfants sur 5» mais elles «peinent à assurer leurs missions de base au regard de l’évolution démographique». Car le texte rappelle que Mayotte connaît une situation «extra-ordinaire» avec une population qui «double tous les 15-20 ans».
Les auteurs souhaitent donc «autoriser et transférer la gestion de l’activité pharmaceutique de la PMI au CHM». Ainsi, la pharmacie centrale du centre hospitalier gèrerait les commandes, les approvisionnements et les stocks de médicaments et de dispositifs médicaux des PMI, qui bénéficieraient de l’expertise, de la logistique… et des prix du CHM dans ce domaine.
Les défauts de pilotage de l’ASE
L’aide sociale à l’enfance (ASE) est également passée au crible. Pour l’Igas, ses réponses «ne sont pas adaptées aux enjeux par manque de diversification des outils mis en œuvre» avec, par exemple, certains dispositifs «inexistants», «les autres inopérants, faute de professionnels qualifiés et de moyens en quantité suffisante».
Le document parle aussi de «défaut de pilotage patents» et d’une «gouvernance défaillante de la Direction de la solidarité du Département» qui «amplifie les difficultés». D’un côté, on fait «venir à grands frais des professionnels hautement qualifiés de métropole, mais on ne leur fournit pas la possibilité d’exercer normalement leur métier: les moyens matériels les plus élémentaires font régulièrement défaut.»
Un besoin de solidarité nationale «hors du commun»
Concernant les moyens, le rapport revient d’ailleurs en détail sur le sous-financement «notoire» des PMI et de l’ASE, même si le texte indique que «l’effort budgétaire du Département est finalement plus important qu’on pourrait le croire» (9,6M€ pour l’ASE et 14,6M € pour les PMI, soit deux ou trois fois plus que les chiffres communément admis, des sommes qui restent tout de même insuffisantes).
L’Igas formule donc des propositions pour dégager les recettes nécessaires. Selon le document, le projet de loi de finances pour 2017 doit être l’occasion de «prévoir […] les crédits nécessaires au paiement des actes de PMI», car le rapport rappelle que les «frais médicaux concernant les mineurs et femmes enceintes non affiliées» doivent être financés. Il s’agit d’une «obligation légale de prise en charge par l’État» que l’Igas chiffre «pour un montant prévisionnel de 5 millions d’euros».
Au final, les conclusions de l’Igas vont donc dans la droite ligne du récent constat sénatorial mais elles vont plus loin: «la situation extra-ordinaire que connaît Mayotte nécessite non seulement un assouplissement des normes sanitaires et sociales mais encore un effort de la solidarité nationale hors du commun avec la mise en place de financements à la hauteur des enjeux actuels et à venir», écrivent les auteurs du rapport.
Reste à espérer que ce texte ne reste pas dans les tiroirs (Voir la mission_d_appui_mayotte_igas-tome-1 et la mission_d_appui_mayotte_igas-tome2) mais qu’il devienne un véritable outil pour dégager, enfin, des solutions face à l’asphyxie du système de santé mahorais.
RR
www.lejournaldemayotte.com