Les échecs des amendements déposés par Ibrahim Aboubacar en matière fiscale, foncière, ou pour contrer le rétropédalage sur la compensation fiscale que le gouvernement tente de ponctionner dans les 42 millions de l’Aide sociale à l’enfance, ont plongé les élus Mahorais dans la consternation. Ils n’ont plus qu’un seul recours, le sénateur Thani Mohamed Soilihi, qu’ils sont allés chercher sur la pointes des pieds : ils l’avaient envoyé bouler il y a deux mois, votant à la majorité du conseil départemental le retoquage de sa proposition de loi sur l’évolution du mode de scrutin et du nombre d’élus du Département.
Le sénateur a bien reçu le message et va s’exécuter, non sans amertume : « Il aurait fallu que je sois intégré aux travaux. J’ai été destinataire trop tardivement, des amendements déposés par Ibrahim Aboubacar à l’Assemblée nationale, et il est déjà trop tard pour que j’intervienne sur le Projet de Loi de finances rectificatif de 2016. »
C’est pourtant lui qui avait appelé à chasser en meute à Paris, avec succès, puisque c’est un front commun d’élus Mahorais qui avait démarché Manuels Valls en avril dernier pour obtenir les 10 engagements pour Mayotte. Mais depuis, de larges fissures étaient apparues dans ce bloc, notamment avec le coup de massue contre son projet de loi, pourtant déposé à la demande du précédent exécutif du Département.
Pas assez de lobbying à Paris
Il découvrait même sur le JDM qu’une motion avait été prise par les conseillers départementaux il y a 2 semaines, très largement inspirée des conclusions de la mission sénatoriale. « C’est le texte que j’attendais pour m’appuyer dans la poursuite de mon travail parlementaire. »
Cette dispersion, c’est aussi une des causes de nos malheurs dans les pertes de concrétisations des engagements de Manuel Valls. Car, selon lui, pour le gouvernement, la portée générale des engagements du gouvernement est tenue, « pas pour nous. Il fallait alors réunir à Mayotte l’Association des maires de Mayotte, les conseillers départementaux et les parlementaires, avant de monter au créneau à Paris. Or, depuis le mois d’avril, un solide travail technique a été effectué, mais pas assez de lobbying. »
Thani Mohamed va utiliser le projet de loi sur l’Egalité réelle pour appuyer ses amendements : « C’est pleinement justifié pour l’inégalité en matière de valeur locative, puisque nous sommes indexés sur une année haute, 2012, contrairement à la métropole. »
« Consommons ! »
Le texte doit passer en commission le 11 janvier, et la semaine d’après en séance. « Mais il ne faut pas attendre de miracle : si les amendements d’Ibrahim ont été retoqués par une Assemblée nationale acquise à la gauche, ça sera plus compliqué pour moi avec un Sénat de droite, et avec un avis défavorable au gouvernement », commente le sénateur apparenté PS. Son atout, c’est d’avoir rencontré Ericka Bareigts de nombreuses fois pour évoquer différents sujets en matière d’égalité réelle.
Quant au gros morceau de la compensation au Département de la parte de l’octroi de mer en ponctionnant sur les 42 millions d’euros affectés à l’Aide sociale à l’enfance, il le qualifie de « maladroit », là où d’autres s’étouffent d’indignation : « Parce que je pense que nous devons avant tout montrer des gages de bonne consommation des fonds. Ça n’a jamais été le cas, les Contrats de projets en ont été la preuve, puisque sur le précédent CPER, 15 millions d’euros sont repartis à l’Etat. Montrons nous vertueux. »
Priorité à l’indivision
Enfin, autre gros chapitre à amender, celui du foncier. En matière de taxes, le gouvernement ne cible qu’une baisse de la taxe d’habitation, et n’a pas validé les exonérations de droits de succession. Des revendications reprises par la motion des élus du Département à la dernière séance plénière, avec celle de la cession gratuite au Département des terres en Zone des Pas Géométrique, pour faciliter la régularisation foncière.
N’y figure pas une des conclusions de taille du rapport des sénateurs nationaux sur le foncier, celle de l’accent à mettre en priorité sur l’indivision. « Et c’est impossible d’y parvenir à droit constant, avec les textes existants. » L’idée serait donc de mettre en place une Commission de l’urgence foncière (CUF), chargée de racheter les titres et de procéder à une redistribution globale sur la base de l’occupation des terrains pour une période de 10 ans. Elle serait présidée par un magistrat : un dernier détail trop gênant pour certains qui ne souhaitent pas qu’on regarde de trop prés dans leurs histoires foncières ?…
Thani Mohamed s’est positionné dernièrement en soutien de Manuel Valls. Pas seulement en raison de ses engagements pour Mayotte, « mais plutôt pour l’autorité qu’il aura incarné comme premier ministre », qui a souvent été évoquée en contrepoint de la personnalité de François Hollande. En citant plusieurs exemples, « il fallait avoir le courage de faire voter la loi Travail, qui a perdu en ambition, la loi bancaire de séparation des banques de dépôt et d’investissement, la loi Macron… »
« Théoriquement, tout est rattrapable », nous a-t-il répété, mais il va devoir mener un fin travail de négociation en amont.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte
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