Autant de tables rondes, autant de défis pour répondre à une question qui chapeaute les deux journées, « Quelles évolutions pour Mayotte ? » Etant donné que l’évolution économique doit trainer dans son sillage beaucoup d’autres avancées, nous avons choisi d’entendre ce que les principaux responsables, représentants de l’Etat et du département, allaient proposer à cette table ronde.
Le levier de développement étant désormais européen, les débats s’engageaient à nouveau sur la consommation des fonds, avec un synthèse proposée par Jean Almazan, le Secrétaire général aux Affaire régionales de la Préfecture. Il évoquait surtout les modifications apportées, notamment la réintroduction du financement de l’aéroport dont la piste aurait du être remise aux normes avant le 1er janvier 2018.
Ou Mayotte 2025 et ses 324 actions, « 170 sont presque finalisées, mais de gros chantiers sont encore à mener », commentait le sous-préfet qui les égrenait, « les infrastructures aéroportuaires, les transports urbains et interurbains, l’optimisation des liaisons entre Petite et Grande Terre, la structuration des filières agricoles et pêche… », il aurait pu continuer encore très longtemps.
« Comment se développer quand la base n’est pas là ? »
Car nous l’avons répété à plusieurs reprise : la bascule vers la Rupéisation a propulsé Mayotte vers une dépendance aux fonds européens, complexes, sans en avoir l’ingénierie, et surtout, sans avoir été structurée comme l’ont été les autres départements d’outre-mer, qui ont pu bénéficier en 1946 d’afflux financiers conséquents de Paris, un amorçage de pompe avant de pouvoir rouler sa bosse. Un « big-push » dont devrait parler aujourd’hui au cours du colloque Vincent Roux, expert référent dans cet atelier pour être Agrégé d’économie, et qui connaît bien Mayotte. Il évaluait à 1,3 milliard d’euros de rattrapage le déficit d’infrastructures du territoire.
Mayotte ressemble à une enfant à qui on demande de résoudre une équation du second degré, sans lui avoir appris les tables de multiplications. Enfanne Haffidhou, DGA du service Economie du conseil départemental, interrogeait : « Comment envisager de développer certaines filières en particulier, quand la base même de l’économie n’est pas là ? »
Les infrastructures en eau potable comme exemple parlant
La partie la plus criante de l’iceberg, est l’actuelle pénurie d’eau qui stoppe tous les chantiers, comme le déplorait le directeur de la Construction à la SIM. Mais on évoque aussi le réseau routier, insuffisant et de mauvaise qualité, l’énorme retard d’assainissement qui envoie les eaux sales dans la nature, etc.
Les grands chantiers dont parlait Jean Almazan sont sur le papier, mais Mayotte avec sa petite enveloppe européenne de moins de 300 millions d’euros est obligée de saupoudrer, « alors que le projet de contournement de Mamoudzou de 400 millions d’euros était bouclé ! Nous sommes conscients que nous devons faire nos preuves, mais nous avons besoin non de développement pour arriver à consommer, mais d’aide au développement », invoquait Enfanne Haffidhou, qui appelait toutes les études en cours à anticiper sur la prochaine enveloppe européenne.
Mea culpa des collectivités
Les freins au développement égrainés par Jacques Launay, Responsable du développement économique à la Dieccte, sont inhérents au problème d’ « instructuration » : « Le foncier, avec une Zone d’activité Economique de Longoni occupée seulement à 30% alors que beaucoup d’entreprises cherchent des locaux ». Ben Issa Ousseni, conseiller départemental chargé des Finances, expliquait qu’après avoir dressé un état des lieux, des réclamations allaient être formulées.
Autre frein, l’accès aux instruments financiers. C’est clair, on ne prête qu’aux riches, et c’est une espèce peu répandue chez les petits entrepreneurs, « certains sont quasiment illettrés, ont une grande méconnaissance de l’administration, de la fiscalité, et ne peuvent donc obtenir des prêts. »
Faute de capacité d’ingénierie que peut difficilement avoir un territoire non structuré, des dizaines de millions d’euros sont repartis, déplorait le sous-préfet, qui appelait à mettre en place un guichet unique pour les fonds européens, stupéfiant la moitié de l’assistance qui se souvenait que déjà François Mengin-Lecreulx, ex-SGAER, avait proposé il y a 8 ans une structure proche de l’AGIL réunionnaise.
« Du côté des collectivités, nous avons à faire notre mea culpa dans notre manière de gérer », reconnaissait Enfanne Haffidhou… C’est une première. A chacun son autocritique, mais ce que Mayotte attend le plus, c’est qu’elles soient constructives.
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte