Les inspecteurs de l’éducation nationale le disent d’emblée: ils n’ont pas l’habitude de s’exprimer publiquement. S’ils sortent de leur retenue habituelle, c’est qu’ils font le constat que nos écoles maternelles et primaires «laissent de plus en plus de jeunes sur le bord du chemin». Pour eux, dans le premier degré, «le système éducatif (est) défaillant» et ils en font une démonstration très directe.
L’intersyndicale SIEN UNSA et SNPI FSU interpelle «directement» le ministre de l’Éducation nationale, faute de réponses obtenues localement.
Leurs premières critiques portent sur la stratégie en matière de pédagogie. «Il est une évidence que le projet académique s’est transformé en un catalogue de bonnes intentions… Aujourd’hui, la réalité des difficultés scolaires des élèves notamment concernant la maîtrise de la langue française n’est pas suffisamment prise en compte», dénoncent-ils. Pour eux, non seulement les «apprentissages premiers et fondamentaux de la maternelle et du cycle 2» ne sont pas à la hauteur, mais «la recherche pédagogique et didactique qui permettait de répondre aux spécificités de Mayotte a été négligée».
Ce sont ensuite les rythmes scolaires et leur application uniforme qui sont dans leur collimateur, de même que le rattrapage scolaire «déjà oublié» alors qu’une centaine d’écoles a fermé pendant deux mois pour cause de crise de l’eau.
Le manque cruel de moyens
La 3e charge concerne les moyens et en particulier le nombre d’élève par classe. «Il ne sert à rien de déclarer Mayotte en REP+ si les moyens ne répondent pas à la nécessité de mettre en œuvre des dispositifs de soutien spécifiques et adaptés», écrivent les inspecteurs. Pour eux, le Casnav, une structure académique créée pour évaluer et aider à l’orientation des enfants allophones nouvellement arrivés, «ne s’est pas vu attribuer les moyens permettant de répondre à ses besoins», alors que «l’ampleur de la tâche est immense».
Pour l’intersyndicale, cette question des moyens pour le 1er degré est d’autant plus importante que «les communes n’ont à ce jour pas les moyens financiers leur permettant de faire face à leurs obligations de maintenance, d’entretien, de sécurité et de construction des écoles». Le rappel est cruel: 80 % des écoles de Mayotte ont reçu un avis défavorable par la commission de sécurité.
La crise de la formation
Cette crise des moyens touche aussi la formation. «Là encore le bilan est catastrophique avec de plus en plus de contractuels placés sur le terrain sans accompagnement suffisant, faute de formateurs», estiment les inspecteurs. Ils rappellent que les contractuels seront près de 2.000 en septembre prochain. Absence de travail concerté entre formateurs, manques de conseillers pédagogiques, pas de formation spécifique des directeurs d’école… «Cette situation dégrade la qualité de l’enseignement et génère un très grand découragement pour les jeunes diplômés nouvellement arrivés dans l’enseignement», critique l’intersyndicale.
Enfin, les inspecteurs de l’Education nationale dénoncent les conditions d’exercice de leur profession, parlant de «mépris à leur égard» et de «l’indifférence manifeste pour leur expérience de terrain et leur expertise professionnelle».
«Que dire des promesses de dotation pour dématérialiser les évaluations académiques et en faciliter la mise en place et leur exploitation?» s’interrogent-ils.
Des propositions
Le constat est donc accablant mais les inspecteurs ne s’en tiennent pas là. Ils font aussi de nombreuses propositions pour changer les choses. Ils souhaitent d’abord «la venue d’une commission nationale indépendante chargée d’évaluer le niveau et les conditions d’enseignement à Mayotte». La démarche permettrait «d’établir une priorisation des besoins pour ces dix prochaines années» pour une stratégie faite de «constance et de cohérence», en phase avec les réalités linguistiques, culturelles et migratoires de Mayotte ainsi qu’à l’hétérogénéité des niveaux de classe.
L’intersyndicale demande aussi, «en urgence», un plan académique de formation «inexistant à ce jour» pour les contractuels et titulaires, avec une équipe de formateurs «en nombre suffisant» dans chaque circonscription.
Arrêter une «politique d’affichage»
Ils veulent encore que l’État alloue «les moyens nécessaires afin d’assurer des conditions d’accueil, d’hygiène et de sécurité décentes sur l’ensemble du territoire». Enfin, sur les rythmes scolaires, ils réclament que des «dispositifs concertés soient rapidement mis en place».
Au final, les inspecteurs souhaitent tout simplement que «l’école primaire retrouve la stabilité nécessaire à la qualité de l’enseignement» alors que selon eux, «sur cette académie, le premier degré, là où se joue l’avenir scolaire des élèves, est abandonné.»
S’il ne fallait retenir qu’une phrase de cette longue prise de parole, ce serait celle-ci: «Il est urgent d’arrêter cette politique d’affichage sans prise avec la réalité et les besoins de Mayotte».
RR
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