« Pour diffuser la langue arabe, associons-la aux 15 siècles de culture, et non à Daech », interpelle un Inspecteur pédagogique

« Salam aleikum », « Aleikum salam », une salutation aussi courante à Mayotte que le « Jéjé »- « Ndjema » local. Pas besoin d’aller beaucoup plus loin pour comprendre l’influence de la langue arabe dans le 101ème département français. Qui est d’ailleurs la plus grosse académie du pays sur l’enseignement de la langue, comme l’explique Ali Mouhoub, Inspecteur pédagogique régional en mission à Mayotte.

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« Sur 13.000 élèves en France, Mayotte en compte 3.000, devant Versailles, où on avoisine les 1.500. » Versailles, c’est l’académie de rattachement d’Ali Mouhoub, Inspecteur Pédagogique Régional, en visite pour la première fois à Mayotte , avec parmi ses extensions, Mayotte, « nous ne sommes que trois inspecteurs d’arabe pour tout le territoire national. »

Pendant 15 jours il assure des visites conseil, pour rencontrer les responsables du vice-rectorat et du Centre universitaire, et pour assurer la formation des professeurs, « et les besoins étaient forts ! », rapporte-t-il : « Nous comptons 7 titulaires et 12 contractuels à Mayotte, et ces derniers ont des profils très différents. Certains ont suivi leurs études dans le monde arabe, et d’autres, originaires de l’île, n’y sont jamais allés : ils ont chacun des besoins différents, et il fallait apporter une culture commune, travailler sur une mutualisation des ressources, et qu’ils rencontrent un inspecteur d’arabe en chair et en os ! »

Des échanges qui l’ont amené à rencontrer les chefs d’établissement pour « vendre » l’enseignement de l’arabe : « La France est dépassée par la Grande Bretagne qui forme désormais des arabisants en masse. Nous sommes en dessous des besoins réels, mais nous sommes confrontés à des représentations de la langue qui nous desservent. Quand on pense à l’italien, c’est la Dolce Vita qui nous vient à l’esprit, et quand on évoque la langue arabe, c’est l’immigration et le terrorisme de Daech, c’est peu engageant ! Nous devons revenir sur les 15 siècles de littérature arabe, sur l’art de vivre, les compositeurs, les poètes arabes qui remplissent les stades un peu comme Madona ! D’ailleurs, nous avons un mot, ‘tarab’, qui évoque ce sentiment d’ivresse à l’écoute d’une belle poésie, semblable au ‘tourabou’ Mahorais ».

Au concours d’entrée des grandes écoles

Apprentissage de l’écriture dans une madrassa (©MuMa)

Cette interconnexion entre Mayotte et la langue arabe, Ali Mouhoub va la souligner à de multiples reprises, mais attention aux faux amis. Pour reprendre notre exemple de la salutation, si un mzungu ou un occidental répond « Aleikum salam », cela ne fait pas de lui un musulman : « Le lexique du shimaore vient à 40% de l’arabe, les élèves ont une aisance phonétique, graphique et parfois lexicale. Il y a 22 pays arabes, chacun a son dialecte, c’est l’arabe moderne standard, celui que nous enseignons, qui les relie. Mais ‘arabe’ ne veut pas dire ‘musulman’, or, on cantonne la langue arabe ici au religieux, c’est une vision monolithique, que nous devons diversifier, notamment en enseignant l’Histoire et la culture. »

Développer l’enseignement de l’arabe, c’est aussi donner une chance supplémentaire aux élèves, « HEC, Polytechnique ou Sciences Po Paris, le propose dans leur concours d’entrée. »

Au delà du Coran, la culture

Les deux premiers diplômés d’arabe en août 2016, entourent la vice-recteur Nathalie Costantini et la conseillère pédagogique Leïla Al Ardah-Miri

Les liens avec la France ont toujours été forts, que ce soit la création de la première chaire d’arabe au collège de France en 1532, puis la traduction des « Mille et Une nuits », la première agrégation d’arabe en 1905, ou les liens tissés avec le Maghreb « et aujourd’hui les pays du Golfe. Posséder cette langue, c’est un ‘plus’ sur un CV ».

Alors que les petits Versaillais voient l’arabe comme une langue supplémentaire, « ici c’est vécu comme un apport religieux, notamment pour l’enseignement dans les madras où est dispensé l’arabe coranique. Tout en élargissant la vision pour donner aux élèves un esprit critique, nous devons travailler en collaboration avec ces structures. Je rencontre d’ailleurs les cadis et les maître-coraniques ce mercredi. »

Cette évolution dans l’enseignement de la langue arabe à Mayotte a été possible grâce à la volonté de deux personnes, rapporte-t-il : « Celle de la vice-recteur qui nous a toujours appuyés, et celle de la conseillère pédagogique Leïla Al Ardah-Miri, qui a dynamisé l’enseignement avec l’envie de faire rayonner l’enseignement de l’arabe comme il le mérite. »

Le départ de la vice-recteur ne devrait pas modifier la donne, selon lui, « il y a une continuité des parcours dans l’Education », quand à Leïla Al Ardah-Miri, elle sera remplacée par une enseignante agrégée qui arrive de métropole.

Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com

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