Port de Longoni : Les dérives d’un service public géré comme une entreprise privée

Pour sa première conférence de presse depuis qu’elle a remporté en 2013 la Délégation de Service Publique lui assurant la gestion du port, la présidente de Mayotte Channel Gateway (MCG), Ida Nel, n’était pas présente. Après un moment d’attente, c'est son chargé de mission, Jacques Martial Henry qui s'y collait, déroulant ses reproches envers le délégant, le conseil départemental. Qui avait envoyé la veille un courrier bien senti.

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Longoni, grues
Les grues sont surfacturées au regard du service rendu

Pour MCG, il s’agissait 5 ans après une gestion chaotique du port, de faire un point sur la DSP, et plus particulièrement sur ses rapports de force avec le conseil départemental, son déléguant : « 22 contentieux en cours », se plaint le président du conseil départemental dans son courrier adressé jeudi dernier à Ida Nel. (Lire Réponse PCD à MCG demande de changement de référent au Port)

Pour ne pas tomber dans le jeu de ping-pong entre les deux parties qui nourrit la saga, nous avons apporté en direct la contradiction à Jacques Martial Henry.

Comme il l’a fait au tribunal sur l’accusation pour laquelle il a été relaxé* de sa participation à l’octroi de la DSP à la société MCG, qui l’employait quelques années plus tard, Jacques Martial Henry expliquait que « bien qu’ayant voté pour cette DSP, je n’ai pas eu connaissance de son contenu », et que d’ailleurs, personne ne l’avait lu, « que ce soit chez MCG ou au conseil départemental. C’est l’origine des problèmes. Un homme pourtant l’avait lu en détail, puisque le préfet Jacques Witkowski avait saisi la Chambre Régionale des Comptes, qui concluait en octobre 2013 sur 14 irrégularités. Ce qui n’a éveillé les consciences de personne. (Lire Longoni Rapport chambre régionale des comptes)

Peu après avoir remporté la gestion du port, la présidente de MCG se lançait dans la manutention portuaire par le biais de sa filiale Manuport, concurrençant l’entreprise historique la SMART.

Face à la multiplication des désaccords tournant autour de la manutention, une réunion de conciliation était proposée en février 2017 mettant en scène un triumvirat d’experts, et présidée par l’ancien président du tribunal administratif Christian Lambert. « Mais le président Soibahadine n’a pas voulu signer de conciliation, ce qui aurait pourtant pu mettre fin aux 21 affaires judiciaires qui vont coûter un million d’euros au conseil départemental, et pour lesquels nous sommes aussi obligés de provisionner. »

MCG n’a pas le droit de gérer le port

La manutention toujours en cause dans les blocages du port de Longoni par la SMART (Image d’archives avril 2015)

Nous avons rappelé à Jacques Martial Henry les raisons qui amenaient le président du Département à introduire une requête en interprétation de la convention de la DSP : le gestionnaire peut-il faire oui ou non de la manutention ?

Le chargé de mission de MCG nous confirmait que l’entreprise est inscrite sous la nomenclature 52.24A de « Manutention portuaire ». Selon l’INSEE (APE 5224A), elle ne peut donc exercer l’exploitation d’infrastructure de transport, c’est à dire de gestion du port. Seule le code 5222Z (APE 5222Z) le lui permettrait, mais sans exercer de manutention. Il fallait choisir, MCG a choisi le beurre, l’argent du beurre, et la vache à lait ! Nous lui avons soumis ces documents lors de la conférence de presse. Après un moment de flottement, en réponse, il avançait que la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI), auparavant gestionnaire du port, était aussi manutentionnaire. « Faux !, répond le conseil départemental que nous avons contacté, la CCI acheminait les containers depuis le terre-plein jusqu’au client, mais ne faisait pas d’aconage, c’est à dire de chargement et de déchargement de navire. C’est la SMART seule qui opérait. » Donc, le gestionnaire ne peut pratiquer la manutention.

Une CCI régulièrement accusée de ne pas avoir investi dans le port lorsqu’elle le gérait, et pour cause, le président du Département d’alors, Ahamed Attoumani Douchina le lui avait interdit, au motif qu’une DSP allait être lancée en raison de l’agrandissement du port, avec la construction du quai numéro 2 et du terminal pétrogazier. Une période de flottement s’en était suivie, avec un premier appel d’offre jugé infructueux.

MCG ne désarme pas et affirme que l’article 4 de la DSP l’autorise à l’effectuer. Là encore, il faut aller vérifier. Or, si ledit article indique que le délégataire peut confier à un tiers une partie de l’exécution du service délégué, il précise « dans le respect des règles de mise en concurrence ». Jacques Martial Henry expliquait que « les agents de Manuport ne conduisent pas les grues, ce sont les agents de MCG qui le font ». Il n’y a donc pas d’intervention d’un tiers puisque la gestionnaire fait aussi la manutention.

Un manutentionnaire plus égal que l’autre

CACES délivré à un agent de la SMART

Le conseil départemental voulait annuler l’agrément de la filiale de MCG, Manuport, reprochant à ses agents de ne pas être certifiés CACES 2, mais selon MCG, ce Certificat de Qualification Professionnelle n’a pas une valeur règlementaire, ce n’est qu’un label, et même la SMART ne l’a pas ! » « Faux ! » là encore, et cette fois c’est Jean-Claude Henry, le gérant de la SMART, qui affirme que ces agents possèdent bien le CACES règlementaire.

Ensuite Jacques Martial-Henry fait état du règlement d’exploitation adopté le 15 mai 2017, annulé ensuite par le conseil départemental, à la demande du préfet constatant de nombreuses illégalités. Il ironise, « ce n’est pas un contrôle d’« illégalité » mais « d’opportunité » de la part du préfet… Une dérision qu’adore pratiquer MCG quand la décision ne va pas dans son sens.

Parmi les reproches du préfet, figuraient la taxation illégale des navires arrivant au port avec leurs grues à bord, « nous l’avons retiré depuis », et une « distorsion de la concurrence », avec une priorité d’accostage aux navires manutentionnés par Manuport, la filiale de MCG. « Ça n’est pas vrai, nous privilégions celui qui travaille avec les grues ! », répond au JDM Jacques Martial Henry. Qui oublie donc encore une fois qu’il a l’obligation de proposer un Service public, sans opérer de distinction.

Qui ne tente rien…

Les grues et les RTG de MCG, acquis en défiscalisant

Autre point de conflit avec le Département, les tarifs, dénoncés régulièrement par les transitaires, ils ont là encore été annulés à la demande du préfet, pour leur « caractère manifestement excessif ».

N’oublions pas que MCG a défiscalisé ses grues et RTG, ce qui aurait dû permettre de diminuer les factures. « Les prix ont initialement été fixés par rapport aux remboursement bancaires sur 8 ans, confie Jacques Martial Henry », heureusement les « experts sont passé par là, « ils nous ont demandés de les répartir sur la durée de la DSP, ce qui a permis de les diminuer. Mais nous devons aussi absorber les taxes d’octroi de mer de 4,8 millions d’euros ». Une taxation qu’il estime stupide de la part du conseil départemental, « car à cause de ce manque à gagner pour nous, ils sont obligés de compenser les comptes de MCG, alors que le produit de l’octroi de mer part aux communes. »

Dans son courrier, le conseil départemental rappelle à Ida Nel qu’une grille de tarifs objective lui a été proposée lors de la réunion de concertation du 28 septembre 2018 à partir des suggestions du cabinet CATRAM et de l’expert Denis Moranne.

On ne peut s’étendre sur les 21 ou 22 contentieux, mais on remarque que si MCG reproche au conseil départemental « un manque de professionnalisme », ce dernier lui retourne le compliment dans son courrier, dans lequel il reprend une des préconisations du rapport ministériel de décembre 2017, « il s’agit d’une délégation de service public, ne relevant pas d’un management d’une entreprise privée ». Pendant combien de temps encore, la DSP courant encore pendant 10 ans.

Anne Perzo-Lafond
Lejournaldemayotte.com

* Le procureur a fait appel

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