Accident du boulevard des Crabes, après la "passion irrationnelle", l'heure de "la réparation"

Le 30 juillet dernier, une jeune femme perdait une jambe, percutée par une voiture près de la barge sur Petite Terre. Le procès de l'automobiliste s'est tenu ce mardi, dans un calme et une dignité à toute épreuve.

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La victime recevra bien les 80 000€ que son avocate réclamait pour elle. Son mari, 8000€.

L’affaire aura suscité bien des fantasmes. De sombres mensonges et des sous-entendus malsains ont occupé l’espace médiatique, d’aucuns ont même voulu lui faire prendre une tournure raciale. Ce mardi, l’heure était à l’exposé des faits, dans le respect et la dignité, sur ce terrible accident qui a coûté sa jambe à une jeune maman.

A la barre du tribunal correctionnel, un caporal-chef de la légion étrangère. Il lui est reproché d’avoir, ce jour-là, roulé ivre et à vive allure sur le boulevard des Crabes, et d’y avoir percuté un scooter qui roulait en sens inverse. L’accident est d’une rare violence. Le scooter est brisé. La roue avant de la Renault Mégane du légionnaire éclate elle-aussi, et le rétroviseur du conducteur n’est pas retrouvé. Le scooter se couche sur le sol. Le conducteur s’en sort avec des contusions. Mais son épouse à l’arrière a la jambe arrachée. La polémique démarre presque immédiatement, car la première chose que voient les témoins de la scène, c’est la Mégane qui s’éloigne, avec une jante brisée. « Dans le rétroviseur, j’ai vu le scooter à terre, explique le conducteur, j’ai aussi vu le regard de ma fille de 11 ans qui paniquait à l’arrière. J’ai posé la voiture à la barge, je lui ai dit de m’attendre à la terrasse d’un restaurant et je suis retourné en courant vers l’accident, ça a pris moins de 2 minutes. » Lorsque, une dizaine de minutes plus tard, les gendarmes arrivent sur les lieux, les témoins leur indiquent la présence de la Mégane près de la barge. Quand les militaires se mettent en route pour aller inspecter le véhicule, le légionnaire demande à monter avec eux et, une fois dans le véhicule, leur dit qu’il était au volant. « Les gendarmes n’ont eu à mener aucune démarche pour le retrouver » explique le procureur à l’audience, justifiant ainsi que le délit de fuite n’ait pas été retenu.
Du côté de la victime, personne n’a vu le légionnaire revenir. Un autre officier de la légion pratique un garrot, « un excellent réflexe qui a permis d’éviter le pire » souligne le président Pascal Bouvart.

L’alcool au cœur de l’affaire
Lorsque le militaire qui était au volant est interpellé, un contrôle d’alcoolémie le situe à plus d’1,20g d’alcool par litre de sang. Une dose qui équivaut à environ 6 à 7 verres. Lui affirme n’avoir bu que deux bières et assure que son discernement n’était pas altéré. Impossible avec un tel taux, lui ont répondu plusieurs juristes présents.
Mais alors que s’est-il passé, pourquoi l’accident n’a pas pu être évité sur ce tronçon de route, certes abîmé à ce moment-là, mais bien éclairé ?
Selon le prévenu, le scooter roulait au milieu de la route, peut-être pour éviter les nids de poule, et il jure avoir roulé à une allure normale. La seule infraction qu’il reconnaît c’est l’alcool.
En face, le conducteur du scooter affirme avoir vu la Mégane « qui zigzaguait ». C’est une de ces embardées qui aurait causé l’impact selon lui. Aucun autre témoin n’a pu être officiellement entendu, malgré les multiples appels à témoins lancés par le parquet, et le précédent avocat des victimes.
Deux versions qui s’affrontent pour un résultat terrible. « J’ai perdu une jambe qui ne repoussera pas, je ne peux plus faire la cuisine, ou le ménage, ou m’occuper de mon fils » explique, debout malgré ses béquilles, la femme amputée de la jambe droite. Alors qu’elle et son époux éclatent en sanglots, elle refuse une suspension de séance et reprend. « Ma vie a basculé, j’avais des loisirs, je pouvais danser, nager, je ne peux plus ».
« Elle a mal à un orteil qui n’existe plus » appuie son avocate, Elise Marchand, une spécialiste des accidents venue de Paris. La juriste déplore la prise en charge médicale de sa cliente qui « n’a toujours pas de prothèse provisoire, médicalement elle est dans un no man’s land ». Sereinement, l’avocate égrène les besoins de sa cliente, détaille les préjudices subis au quotidien, évoque un avenir proche qui devra passer par des soins en métropole, faute de logement adapté pour elle à l’approche de la saison des pluies. « Il faut qu’elle aille vivre ailleurs, et rapidement ».

Le procureur de la République Camille Miansoni avait été accusé de protéger une conductrice blanche. Bien loin de la réalité.

Le procureur Camille Miansoni note quant à lui que « cette audience était attendue ». Quoique sur un ton posé, il rappelle que  » l’affaire a déchaîné une passion irrationnelle » notamment « par des professionnels ». « On a tout entendu, rappelle-t-il. Que la conductrice était une femme, qu’elle était blanche, ou encore qu’on aurait protégé quelqu’un, c’est parti dans tous les sens ».
Le procureur n’étant pas plus clair de peau que le prévenu, ce rappel des rumeurs qui ont circulé fait sourire dans la salle. Mais jaune. L’emballement médiatique aura eu un mérite, celui de pousser la justice à agir vite. « L’essentiel poursuit-il, c’est qu’en audience publique chacun puisse entendre ce qui s’est passé ». Il rappelle toutefois que le prévenu « n’a pas cherché à échapper à sa responsabilité pénale ou civile » se refusant à revenir « sur le fantasme selon lequel on aurait fomenté un complot ». Il requiert 12 mois de prison avec sursis, 1 an de suspension de permis, 300€ d’amende pour le défaut de maîtrise du véhicule et un stage de sensibilisation à la sécurité routière.
Pour la défense, Erick Hesler souligne « une affaire particulièrement douloureuse » pour la victime et estime que « l’heure est à la réparation ». Mais concernant son client, « il n’y a dans cette affaire aucune certitude, personne n’est en mesure de dire qu’il est responsable à 100%. Ce qui fait l’enjeu de cette audience, ce sont les conséquences, il faut le juger en fonction de l’infraction commise, et non des conséquences de l’accident ».
La décision sera rendue le mardi 4 décembre.

Y.D.

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