Le tableau était alarmant il y a dix ans et ne se serait pas amélioré : les données, anciennes, de 2006 font état soit d’obésité, Indice de Masse Corporelle ≥ 30kg/m2, chez 54% de femmes de 15-49 ans, soit de surpoids, IMC ≥ 25-29kg/m2. Les hommes sont touchés respectivement à 17% (obésité) et 35% (surpoids). Le diabète atteint 10,5% des 30-70 ans.
Constat qui en découle et/ou qui le provoque : l’activité physique est faible, 55,2% des femmes de plus de 15 ans n’en pratiquent aucune, et 31,5% des hommes.
Paradoxalement, beaucoup d’enfants sont en état de sous-nutrition, « ils sont environ 4.000 », selon Julien Thiria, responsable du service prévention et Action santé à l’ARS OI, qui y voit une conséquence du comportement alimentaire des femmes pendant la grossesse, « 31% d’entre elles sont convaincues que certains aliments ne doivent pas être consommés pendant les trois derniers mois de la grossesse, et qu’il y a des aliments tabous pendant l’allaitement. » Et on ne parle pas là d’alcool, ou de persil, censé stopper les montées de lait.
Mayotte est donc face à un grave problème de santé publique : le mauvais traitement que nous nous infligeons a un impact sur notre vie personnelle, mais il se traduit aussi par une surconsommation de soins et de médicaments.
L’alimentation pour bien se soigner
Pour venir à bout des mauvaises habitudes alimentaires et de la sédentarisation qui nous fait préférer la voiture à la marche à pied sur un territoire où le soleil de plomb n’incite pas au sport, l’Agence Régionale de Santé a sorti la grosse artillerie en nouant des partenariats. « L’alimentation est la première médecine pour une bonne santé. La santé nutritionnelle se marie avec le sport, la campagne que nous menons est donc le fruit d’un travail collectif », introduit Xavier Montserrat, Directeur d’une ARS qui porte encore les lettres OI de l’Océan Indien, mais qui s’oriente désormais vers une autonomie propre à Mayotte, « le 1er janvier 2020 ». Et cette campagne en est un peu l’étendard, qui nous mènera aussi à la santé communautaire.
Elle poursuit 6 stratégies. La première respecte le cadre national puisqu’il s’agit d’une « déclinaison locale de la stratégie nationale de Santé impulsée par le ministère sur la période 2018-2022, qui porte sur une alimentation saine et une activité physique régulière. »
Le travail collectif est le second moyen que les acteurs se donnent pour toucher au but : l’Etat, la Direction de la Jeunesse et des Sports (DJSCS), la Direction de l’Agriculture (DAAF) pour la consommation de produits locaux, la Caisse de sécurité sociale, le Comité Régional Olympique et sportif (CROS), le réseau RéDiabYlang, la récente Union des Centre communaux d’Action sociale (UCCAS) présidée par Anchya Bamana, et l’Union Départementale des Associations Familiales (UDAF), ces deux dernières structures permettant de toucher le plus grand nombre. « Il n’y aura pas de changement d’habitudes sans associer les collectivités, communales et départementales », indiquait en outre l’ARS.
La 3ème stratégie ancre cette évolution dans la durée, « notamment celle du Projet régional de santé 2018-2028 auquel nous collons, et celle du Plan pour l’avenir de Mayotte qui donne des moyens supplémentaires en santé nutritionnelle. » Une évolution des mentalités qui pourrait prendre une génération.
« Danser comme Beyoncé »
Les 3 autres axes portent sur la prévention, par le biais de la campagne « Maescha mema- Mangez sain-Bougez malin », qui a porté les slogans comme « Mange des fruits pour escalader le mont Choungui », ou « Mange équilibré pour danser comme Beyoncé », la formation, notamment de 3 CCAS Tsingoni, Bandrélé et Acoua, et la communication, avec un évènementiel fort le 2 mars, mois de la nutrition.
Une actu qui colle à l’agenda de tous selon Philippe Lemoine, Directeur du CROS Mayotte : « Il y a quelques années, on aurait eu du mal à proposer une offre sportive. Aujourd’hui, nous pouvons proposer plusieurs supports, fitness, marche en bâton, taïso, etc. Et nous avons formé des enseignants à cette prise en charge d’une pratique sportive de santé et de bien-être et non plus de compétition. »
Visant les mères de famille, un clip sera diffusé sur les télés, où s’affiche une Mama Echa, « pas mince, mais dynamique », qui privilégie la marche, « 30 minutes d’activité par jour », et pour ses courses, le poulet frais au mabawa (ailes de poulet), l’ananas aux gâteaux, des crudités, ne rajoute pas de sel, ni de gras, etc. « La nutrition détermine l’état de santé de l’individu, son obésité peut se transformer en diabète, « avec à la clef, un possible accident vasculaire cérébral », met en garde le docteur Abdon Goudjo, conseiller médical de l’ARS, « et certaines mauvaises habitudes peuvent provoquer des cancers », complète Julien Thiria.
Des représentations fausses du développement
La consommation de sodas tout au long des repas est particulièrement visée, avec des canettes qui affichent leurs couleurs un peu partout et finissent dans la nature. Des boissons sucrées qu’il va être difficile de bannir. Des tentatives sont en cours, notamment à Sada comme en témoigne sa maire Anchya Bamana : « Nous avons de fausses idées du développement à Mayotte. Sada a organisé un Festi-manzara, une simulation de mariage avec de l’eau et des jus de fruits locaux. »
Difficile parfois de demander un effort pendant les fêtes qui sont une occasion de se lâcher justement. La piste de la production locale peut valoir le coup, mais pour l’instant pas le coût, avec des prix allant jusqu’à 5 euros la bouteille. « C’est parce que nous sommes sur des micro-filières pour l’instant, estime le sous-préfet Dominique Fossat, nous devons poursuivre le travail mené avec les collectivités locales, qui doit notamment déboucher sur une vraie restauration scolaire, et non plus des collations. »
Des chiffres actualisés seront produits dans 6 mois par Santé publique France, « l’observation en santé constitue une priorité forte de la politique à venir », conclut Xavier Montserrat.
Anne Perzo-Lafond