Taxe habitation : les communes de Mayotte pourraient perdre des millions

L’allègement de 60%de notre taxe d’habitation nous l’a fait oublier : nous sommes très peu à la payer, et à être enregistrés comme contribuables. Une sous-évaluation qui va se payer cash pour les communes au moment où l’Etat doit compenser leur perte de recettes.

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L'étude compare Dzaoudzi à 12 communes de métropole à la taille de contribuables comparable

Une injustice a été réparée en 2018 : alors que les contribuables mahorais étaient assommés par une taxe d’habitation la plus chère de France, son taux a été drastiquement diminué en 2018, de 60%, à la suite d’un mémorandum porté par les élus de Mayotte. Cette bonne nouvelle s’ajoute à l’annonce du gouvernement de supprimer cette taxe en 2020 pour tous les Français.

Un bol d’air frais pour le petit nombre de contribuables Mahorais pressurisés, mais un manque à gagner pour les recettes des communes qui avaient commencé à sortir la tête de l’eau à Mayotte et à engager des politiques d’aménagement de leur territoire. Si François Baroin, président de l’Association des maires de France, a expliqué attendre « une compensation à l’euro près, indexée à l’inflation, pour garantir les moyens de financement des services publics dans nos communes », à Mayotte, un gros problème se pose : la compensation que fera l’Etat se base sur un montant considérablement sous-évalué des recettes de la taxe d’habitation. Les maires pourraient donc se faire avoir, et laisser partir des millions d’euros, s’ils ne font rien.

Saïd Omar Oili, président de l’Interco de Petite Terre, a décidé de réagir en cherchant à évaluer la juste somme qui sera compensée pour sa collectivité, et propose des arguments transposables à l’ensemble de l’île. Il a sollicité pour cette étude Philippe Nikonoff, à la tête de Philippe Nikonoff conseil, dont le principal fait d’arme pour Mayotte est d’avoir dénoncé le premier l’incongruité d’une valeur locative injustement surévaluée, en la comparant à un appartement dans le centre ville de Bordeaux.

Dans cette étude que nous nous sommes procurée, il réitère en invitant à abandonner le fichier donné par la taxe d’habitation pour calculer la compensation de l’Etat : « La taxe d’habitation à Mayotte est une chimère, elle n’est pas suffisamment fiable », et il fournit des preuves.

Une moyenne biaisée d’un seul enfant par famille

Un listing des habitations très incomplet aux Services fiscaux

Des preuves de sous-évaluation de l’habitat tout d’abord. En 2012, sur Petite Terre, l’INSEE comptabilisait plus de 3.700 habitations en dur, quand le cadastre* en 2015 n’en comptait que 2.900. (Depuis, le chiffre est remonté à 3.455 en 2018). Pire, le fichier de la taxe d’habitation n’en comptabilise que 2.360, « soit 48% de moins, c’est inédit en France ! » Or c’est sur elle que se base l’Etat pour calculer la compensation. On peut se demander pourquoi n’y a-t-il pas eu fongibilité des listings de ces 3 structures avec l’INSEE comme référence ?

Deuxième risque, celui de ne pas avoir du tout de compensation de la diminution de 60% de la valeur locative, en raison d’un libellé : « Cette minoration est indiquée comme une exonération ‘accordée par les communes’ et non par l’Etat. La différence est que si la commune accorde l’exonération, celle-ci n’est pas compensée ».

Plus complexe, mais tout aussi grave, le calcul de la valeur locative 2018 applique les abattements de 2017sur une taxe diminuée de 60% en 2018… beaucoup ne sont plus imposable, la recette de la commune est très diminuée, donc compensée à ce niveau. Il aurait fallu créer un mode de calcul adapté à cette situation.

Parmi les autres défaillances, celle des fichiers de taxe d’habitation figure dans le peloton de tête : « Alors que l’indice de fécondité est supérieur à 4,1 à Mayotte en 2012 (5 en 2017, ndlr), contre 1,96 en France, le nombre de personnes à charge (les enfants) sur Dzaoudzi est estimé à 1.304 dans la taxe d’habitation 2017 de la commune, soit une personne à charge par foyer… aberrant ! » Du coup, il y a moins de personnes plafonnées à 3,44% de leurs revenus, ils sont 21,1%, « alors qu’il dépasse 30% dans 5 communes métropolitaines. » Avec un revenu moyen à Mayotte 4 fois plus faible qu’en métropole et le nombre d’enfants à charge, « l’échantillon devrait être plus proche de 80% ». Or, l’Etat prend en charge la part d’impôt à la place de ces contribuables aux revenus modestes, et la reverse aux collectivités. La somme ne sera donc pas la même selon qu’ils sont estimés à 21% ou à 80%.

Entre 1,4 et 3,2 millions de compensation attendus pour Petite Terre

Petite Terre a évalué une fourchette de compensation en se basant sur des critères métropolitains les plus proches

Une fois ce constat fait, une première leçon s’impose, et peu favorable à la résolution des problèmes : il est peu vraisemblable que l’Etat mette les moyens pour fiabiliser le listing de la taxe d’habitation, puisqu’elle va être supprimée sur le plan national.

Pour contourner les plus grosses défaillances, l’étude propose de pratiquer la politique du moins pire, en se basant sur le fichier cadastral plutôt que sur la taxe d’habitation. Et en tentant de « neutraliser » les 3 erreurs principales : le nombre de locaux insuffisamment référencés, l’imputation à la collectivité de la minoration des 60% alors que c’est une volonté de l’Etat, et le mode de calcul inadapté de la valeur locative moyenne en 2018.

Le montant de la compensation ainsi obtenu est de 3,2 millions d’euros.

L’étude a cherché à savoir ce que donnerait le calcul effectué à partir de la taxe d’habitation, malgré la sous-évaluation, mais en ayant corrigé les erreurs sus-citées, elle obtient 1,4 million d’euros.

Petit aparté, ces défaillances expliquent la valse des taux d’il y a 3 ans pour des contribuable étranglés, lors de la bascule vers la fiscalité de droit commun, les communes s’étant retrouvées avec peu de recettes en raison de bases étriquées de contribuables identifiés, qu’elles ont cherché à faire payer davantage.

En conclusion, l’étude fournie qui s’est basée sur la comparaison des taxes d’habitation de 12 communes de métropole à l’échantillon de contribuables identiques, invite l’Etat pour évaluer sa compensation, à « raisonner sur les ressources perçues par ces communes et communautés de même taille démographique et de structure sociale approchante. Dans le cas contraire, la fiscalité ne serait qu’une illusion technique, sans lien avec la réalité. »

C’est en tout cas maintenant que l’ensemble des communes de Mayotte doivent agir en interpellant l’Etat, et avant qu’il ne produise son montant, si elles ne veulent pas se retrouver encore une fois avec les yeux pour pleurer. »

Anne Perzo-Lafond

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