Saïd Saïd Hachim : « En science, il ne faut jamais dire ‘non’ »

Depuis que l’origine des séismes est officiellement connue, on sent un apaisement général. Malgré l’ampleur incertaine que peut prendre le phénomène. Un scientifique, Saïd Saïd Hachim, avait annoncé quasiment dès le début l’origine volcanique, malgré le peu de données à sa disposition. Il revient pour nous sur ses observations.

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L'alignenement d'anciens volcans sous-marins qui l'ont incité à pencher pour une hypothèse volcanique

Alors qu’en juin 2018 une première mission de scientifiques écartait l’hypothèse volcanologique pour privilégier une origine tectonique des séismes qui touchent Mayotte depuis mai 2018, le géographe Saïd Saïd Hachim, Administrateur de système d’information géographique au conseil Départemental de Mayotte, n’en démordait pas, tout les signes prouvant une remontée de magma étaient réunis. La découverte d’un volcan sous-marin de 800m de haut lui donne raison, mais nous avons voulu savoir ce que son petit doigt lui a soufflé alors, et connaître son point de vue sur le phénomène.

Multicarte, Saïd Hachim est co-auteur de l’Atlas des risques naturels et des vulnérabilités territoriales de Mayotte, avec son ancien maitre de thèse, le professeur Frédéric Léone. Ce dernier lui avait d’ailleurs proposé un poste d’Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche à Montpellier, qu’il a décliné, « je voulais prouver qu’on peut aussi faire du bon travail en restant à Mayotte. »

Lorsqu’apparaissent les premiers séismes, Saïd Hachim demande à ce qu’on lui transmette les données, et, faute de réponse, doit utiliser celle du système international USGS, qu’il compare aux cartes issues de Litto 3D qu’il a contribué à élaborer.

C’est là qu’il comprend la probable origine volcanique du phénomène : « S’il s’agissait d’un mouvement de failles, les séismes auraient été alignés, or, ils sont regroupés autour d’une zone. Par contre, à l’Est de Mayotte, on voit une petite butte sous-marine, et en zoomant, c’est une succession linéaire de petits volcans anciens et éteints qui apparaît sous nos yeux », ce que la mission MayObs a expliqué aux médias ce jeudi. Un an après la déduction du géographe.

Aller sur place, « pour voir quoi ?! »

Synthèse en 3D de la zone d’essaim

S’il reste sobre en refusant tout satisfecit, il répond à notre interrogation sur la position de la 1ère mission : « En sciences, il ne faut jamais dire ‘non’ en écartant définitivement une hypothèse. De plus, je consulte en permanence tous mes amis qui travaillent dans la recherche, comme le géomorphologue volcanique de renom, Franck Lavigne, ou le professeur Thomassin, et ils voyaient tous des signes d’origine volcanique », souligne-t-il tout en remontant dans leurs échanges de mails.

Il repense à toutes les occasions ratées d’avoir une étude de la zone beaucoup plus tôt. Souvenons-nous encore que la première mission avait expliqué aux journalistes l’inutilité d’un déplacement au dessus de la zone « pour voir quoi ?! », nous avait-on répondu. Un an après, la mission du Marion Dufresne va démentir cette posture. Un autre navire l’OGS Explora, aurait pu enregistrer quelques données en août 2018 lors de sa mission de relevé hydrographique des eaux, « trois mois après le début des séismes, nous aurions pu être fixés ».

Autre information qui aurait mérité d’être partagée, celle de « Pax » en Nouvelle Zélande. Ce nom ne vous dira rien, mais c’est lui qui avait signalé qu’une onde partie de Mayotte avait parcouru le monde le 11 novembre 2018. Et c’est aussi un ami du géographe Mahorais, qui nous montre son sms d’alors : « Cher Saïd, pour moi, c’est un volcan, le magma bouge et provoque les séismes que vous ressentez. »

Un volcan anonyme

Vidange en cours de la chambre magmatique qui alimente le volcan

Et toujours avec les données USGS, Said Hachim avait l’information d’une chambre magmatique située à 10km de Mayotte et à 30 à 40km de profondeur. Révélation livrée ce jeudi par MayObs. Pour la néophyte que nous sommes, il revient sur la signification d’une chambre magmatique, schéma à l’appui, en montrant cette zone de stockage de magma située dans la croute terrestre : « Cette chambre est actuellement active, mais le volcan peut s’arrêter demain, puis recommencer ».

Si l’île de Mayotte s’est affaissée de 13cm en un an et déplacé de 10 cm vers l’Est, c’est donc en raison de la fuite de magma vers le volcan. « Mais c’est une énergie qui n’est pas inépuisable, un jour ou l’autre, ça s’arrête. D’ailleurs on voit une certaine accalmie depuis plusieurs mois » Si le phénomène continuait, une île pourrait sortir, « on ne sait absolument pas dans quels délais, cela peut mettre très longtemps », et se situerait dans la Zone Économique Exclusive française. Avant cette bruyante naissance, commençons par réfléchir à un petit nom de baptême, non ?

Sortir la tête de l’eau, ce fut le cas de Fernandea, cette « île éphémère », qu’un lecteur lointain, mais avisé, a porté à notre connaissance dès le début des séismes. Issue d’un volcan qui apparut en 1831 au large de la Sicile après de nombreux tremblements de terre, elle fut revendiquée par italiens et britanniques, pour disparaitre ensuite. Elle ne serait aujourd’hui qu’à cinq mètres de la surface…

L’eau à deux doigts d’entrer dans Mamoudzou lors des grandes marées d’il y a 10 jours

Saïd Hachim met enfin en garde sur la préparation à la gestion de crise, comme les risques possibles de submersion marine lors des grandes marées provoqués par l’enfoncement de l’île, doublée de la montée mondiale des eaux. 13cm en un an, ce n’est pas anodin, et il va falloir évaluer la perte de la bande littorale « pour parfaire notre connaissance du territoire, éviter les inondations, et revoir notre système de transport, notamment en basculant vers le maritime. » Une mission de sécurité civile est à Mayotte depuis ce vendredi, comme annoncée par le communiqué interministériel (Communiqué de presse – 16.05.19)

Espérant enfin être mis dans la boucle des observations sur site, Saïd Hachim prédit « Mayotte va devenir l’œil du monde ». En tout cas, la nouvelle a largement alimenté la presse nationale ce week-end.

Anne Perzo-Lafond

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