La notion de mort à Mayotte, décryptée par Mouhoutar Salim

L’écrivain Mouhoutar Salim, partage avec nous une réflexion sur la différente perception de la mort dans les sociétés occidentales et à Mayotte. La mort, il y a été confronté, comme nous tous, soit personnellement, soit par la perte d’un être cher, et l’actualité sur le sujet est particulièrement dense en ce moment. Entre douleur poignante et conviction que la mort fait partie de la vie, une chronique qui appelle à conserver les rites traditionnels.

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Mouhoutar Salim met en évidence la primauté de la communauté sur l’individu dans les rites funéraires

« Nous croyons entrevoir la mort à travers l’écran de notre télévision lorsqu’un présentateur de l’un des journaux télévisés de Mayotte, annonce une violence juvénile dont l’expression la plus radicale va jusqu’au meurtre, ou des nombreux décès suite au naufrage d’un Kwassa-Kwassa, mais aussi, celui d’un accident de la circulation. Cela semblerait être digne d’un film dramatique. Confrontés à elle par surprise, dans sa réalité, l’effroi peut nous saisir. Et tout d’un coup, l’insidieux de la mort, la perte, le vide, le creux (qui ne sera plus jamais rempli) et le grand repos (nom prédestiné d’un des cimetières de Mamoudzou en face du Centre Hospitalier de Mayotte), nous submerge soudain de manière définitive.

On ne sait plus quoi faire, par quel bout le prendre, quand cette entaille à la vie, à sa vie, à celle des amis et des membres de sa famille, nous tombe dessus ou à côté. En tout cas, c’est le coup de poignard dans les entrailles, c’est l’effroi dans le dos. On n’a aucune solution pour fuir cette mort, et pour faire comme si elle n’existait pas. S’enfermer dans le sentiment d’éternité et de toute puissance propre à l’adolescence, partir au bout du monde, plonger dans une quête mystique, s’enivrer. Dans tous les cas la mort est au bout de la vie. Ce phénomène irréversible et indépendant de la volonté humaine, qui est la cessation complète et définitive de la vie, a toujours suscité une forte angoisse chez les humains, lesquels à travers le temps et l’espace, les philosophies et les religions, ont toujours cherché à le comprendre et par-dessus tout, à atténuer la frayeur et la terreur qui les submergent quand ils y sont confrontés, mais en vain.

Une vision mahoraise collective de la mort

Un cimetière mahorais en Petite Terre

Contrairement aux sociétés occidentales, où la mort est d’abord un évènement privé, et où le mort appartient à la famille, avec la loi seule pour encadrer les rites et sépultures au nom de l’ordre public, tout observateur objectif découvrant Mayotte ne manque pas d’être frappé par l’africanité et le caractère musulman de la grande majorité de la population. Il verra qu’à Mayotte, les règles sociales qui dominent la vision mahoraise collective de la mort, sont issues du tissage par la matrilocalité et par la classification en groupe d’âges.

L’importance des communautés qui structurent la société mahoraise (mosquées, villages), la primauté de la communauté sur l’individu, le primat des valeurs spirituelles sur les règles matérielles, l’imprégnation total de la société par les principes d’un Islam singulier tolérant aux pratiques animistes coutumières en sont les expressions vivaces. En conséquence, à Mayotte, la mort est un fait social, le décès appartient aux groupes sociaux (famille, groupe d’âge, communauté mahoraise et transcendance religieuse). Les rites funéraires constituent un signe d’intégration sociale pour la famille et l’ensemble de la procédure funéraire est extrêmement codifié non par la loi mais par la coutume. À l’inverse des sociétés matérialistes, où la mort se matérialise, se grave dans le marbre et se donne à voir, dans la société mahoraise, la mort est d’abord gérée par l’esprit et elle n’a pas besoin d’être attestée par des supports matériels. Pratiquant au non, croyant ou non, l’individu (et donc le décédé) appartient nécessairement à la communauté religieuse y compris après sa mort. Par ailleurs, pour les Mahorais, la mort n’est pas une fin en soi, mais un passage, qui permet d’accéder à une autre forme de vie, (rites de conseils au défunt, croyance en l’inventaire par les anges de la vie terrestre du défunt, etc.…). On ne s’insurge pas contre les décrets divins, surtout si la mort est naturelle, mais pas plus si elle est accidentelle. Dominés par l’islam, les rites funéraires intègrent cependant des pratiques animistes antéislamiques (rites d’hommage à la vie (repas)).

Un sujet tabou dans les sociétés modernes

Cérémonie lors de l’enterrement de Zaina Meresse

Par contre, dans nos sociétés modernes, la mort est devenue un sujet tabou, inenvisageable. C’est ainsi que, pour penser facile et pour éviter les rituels et annuler la mort, on a inventé un concept : l’euthanasie, étymologiquement « euthanos » signifie la « bonne mort ». Plait-il ? Comme s’il existait une « mauvaise mort ». Ce terme est aujourd’hui réservé à la pratique qui consiste à hâter la mort d’un malade incurable, dans le projet d’abréger ses souffrances. Il s’agit pour eux de penser à une bonne mort, une mort facile, une mort sans souffrance, pour le parent, l’ami, le proche ou le moins proche. Fini le fauteuil roulant, mais celui qui a mal ce n’est pas le mort, c’est l’autre, le vivant (le parent, l’ami, le proche, la communauté…), qui a mal à lui dans l’autre, à cette partie du soi qui s’en va avec l’autre, dans la tombe, en gardant une partie de son histoire. On essaie même d’effacer la mort en expédiant vite tout ça sans laisser des traces au crématorium, pour éviter le deuil et les rituels, ou tout simplement tomber dans le vide. La mort est cachée partout, dans les hôpitaux, elle est dans une morgue au sous-sol du bâtiment.

La mort : un sérieux sujet

Les obsèques catholiques de l’ancien maire de Koungou Frédéric d’Achery à l’église Notre Dame de Fatima

C’est derrière ce sérieux sujet – le seul peut être -, et c’est pour cela qu’on évite d’en parler dans beaucoup de nos cercles sociaux, que la mort est devenue indicible et inenvisageable, que les mahorais ont adopté une position plus sereine face à la mort, l’idée du destin, de l’inéluctabilité des choses et du sentiment de la mort, et les rites initiatiques sont là pour le rappeler. Pour eux, il est utile d’inclure la mort dans la vie journalière, non comme un dégoût de vivre, mais comme une partie inséparable et nécessaire de la vie. Les indous par exemple, quant à eux, parlent de réincarnation. Cette idée – là est insupportable pour certains, qui doivent penser comme des immortels mourants, et accepter leur propre finitude et la perte du sentiment d’éternité. Le mahorais, lui, a l’éternité devant lui (peut-être croit- il lui aussi à la réincarnation ?) et a peut-être moins peur de la mort. Pour le Mahorais, la naissance et la mort se rejoignent dans le grand cycle de la vie et les rites initiatiques sont là pour le rappeler. [Toute vie insufflée doit goûter à la mort], dit dans le Coran : S 3 – 185. Il est donc utile d’inclure la mort dans la vie mais pas comme un rejet de vivre mais comme une partie de la vie.

En conclusion, on n’oppose pas ici une société traditionnelle mahoraise idéalisée et une société occidentale décadente, mais on fait le point pour observer comment les rituels codifiés, mis en place pendant des générations canalisées par la religion, apportent au Mahorais face à son destin et l’inéluctabilité de la mort. D’un côté la tradition qui rassure, qui donne un mode d’emploi tout fait avec le collectif qui prime, de l’autre une société occidentale qui a fait disparaître en partie, dans un élan de laïcité matérialiste, tous ses rites catholiques, teintés de paganisme, et dont les individus isolés doivent réinventer des rituels. »

Salim MOUHOUTAR
Auteur – Conférencier

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