En France, une vaste enquête préliminaire sur la gestion critiquée de la crise du Covid-19 par le gouvernement, a été ouverte par le parquet à la suite d’une quarantaine de plaintes. En attendant, à Mayotte, ce sont les usagers de la santé qui ont ouvert le feu. A travers un courrier de propositions feutrées envoyées à la directrice de l’ARS Mayotte, on lisait une véritable mise en cause de la capacité à gérer le contexte : déficits en équipements de protection, communication peu efficace, on peut résumer leur courrier en citant une seule phrase, portant sur leurs « interrogations quant à la capacité des autorités sanitaires locales à gérer efficacement cette crise sanitaire ».
Le courrier avait été envoyé aux médias locaux et les associations regroupées sous le label France Assos santé avaient donné de la voix sur France Inter pour déplorer le manque de moyens.
Sur prés de 6 pages, Dominique Voynet leur répond. Vertement, est l’adverbe qui convient le mieux, alors qu’en introduction la directrice de l’ARS Mayotte leur reproche d’avoir été « totalement absentes pendant la crise sanitaire ».
L’ARS souligne le « partenariat utile avec certaines communes et leurs CCAS », ainsi que des associations, « 41 ont été mobilisées », ce qui met « d’autant plus en exergue la passivité d’autres associations pourtant investies dans le secteur de la santé et parfois lourdement subventionnées. » C’est dit. Deux sont citées, Rediab’Ylang et Narike M’Sada.
Des instructions contradictoires
Sur le plan des arguments concrets, notamment sur la communication, la directrice de l’ARS la juge « abondante et adaptée aux cibles variées ». Des petits couacs avaient été notés au début, notamment l’absence d’alphabet arabe, seul lu par les personnes âgées, et la traduction, critiquée par France Assos santé, avait ensuite été faite par le DGA de l’ARS.
Le point sensible reste bien sûr l’approvisionnement en équipement de protection, jugé sans grande difficulté insuffisant par les usagers de la santé. L’ARS avance avoir « garanti l’équipement sans aucune rupture des agents du CHM », mais on se souvient que Dominique Voynet avait annoncé les distribuer « chichement ». A sa décharge, les reportages sur les chaines nationales affichaient des taux d’approvisionnement en masque, gel et sur-blouses dans certaines zones de métropole, comparables voire inférieures à Mayotte. La pénurie était nationale, les instructions grossières sur l’inutilité du port du masque, aussi. Qui se sont contredits quelques semaines plus tard.
Pas plus tard que ce vendredi, devant la commission d’enquête, le directeur général de la Santé Jérôme Salomon, affirmait que la France avait été « volontaire » face au dépistage, et que l’utilité des masques n’était pas prouvée scientifiquement. Si la première affirmation déclenche l’ire publique, la seconde ne tient que la logique juridique histoire de se dédouaner, mais certainement pas le bon sens commun.
Esope face aux réseaux sociaux
A Mayotte, si les livraisons tiraient la langue au début de l’épidémie, elles ont repris avec le pont aérien, et ce sont 332.000 qui ont été distribués depuis le début de la crise, selon la directrice de l’ARS. Qui convient de trous dans la raquette, en évoquant des témoignages quotidiens sur les insuffisances « nous incitant à corriger un oubli ».
La roue de secours fut la fabrication locale de masques « grand-public », prouvant que la société civile peut apporter des réponses à une situation de crise, et qu’elle est insuffisamment sollicitée. Il a d’ailleurs manqué un réseau de santé communautaire, qui existe partiellement grâce aux associations de Santé ici.
La perception de l’évolution de l’épidémie est sans doute le 2ème talon d’Achille de cette crise. Les associations d’usagers de la santé reprochent un emballement sur la toile, « le manque d’informations claires entraine les rumeurs les plus folles et les plus inquiétantes sur les réseaux sociaux ». Baser la critique sur cette forme d’expression que sont les réseaux sociaux, c’était risquer de se prendre un revers ! Il nous arrive du VIème siècle avant JC, puisque Dominique Voynet cite Esope, qui « affirmait que la langue est à la fois la meilleure et la pire des choses, colportant la vérité comme le mensonge, la sagesse comme la bêtise. » Chacun pourra en abuser comme autocritique…
Là où France Assos santé a raison, c’est sur la lisibilité de l’épidémie, avec un modèle qui nous a été bien vendu puis annoncé comme « très critiqué », par le préfet de Mayotte. Et par des bulletins de Santé Publique France où il fallait s’évertuer à démêler le bon grain de l’ivraie, pour faire dans la métaphore plus tardive.
La directrice de l’ARS joint à son courrier deux notes justifiant les actions en communication et de lutte contre la dengue. Dominique Voynet se dit prête à recevoir ces associations. C’est ce que la Santé peut rêver de mieux.
Anne Perzo-Lafond