Mise en cause de l’Autorité de la concurrence à Mayotte : du hors sujet pour le directeur de GBH Réunion

Son offre a été validé par l’Autorité de la concurrence malgré l’avis contraire du consultant de l’Observatoire des Prix et des Revenus Réunion-Mayotte : nous avons interrogé Michel Lapeyre, directeur du Groupe Bernard Hayot Réunion, sur les suspicions de risques que ferait peser sa reprise de BDM, à l’enseigne phare Jumbo score à Mayotte.

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Groupe Bernard Hayot, BDM, Vindémia, Casino, Carrefour
Interview audio d'Amaury Delavigne et de Michel Lapeyre (à droite) sur leur offre de reprise de BDM (©GBH)

Alors que se profile le rachat de Jumbo Score, des Douka Bé et de la SNIE (groupe Vindémia/Casino à Mayotte), par le Groupe Bernard Hayot (Carrefour), l’étude d’impact commandée par l’Observatoire des Prix, des Marges et des Revenus (OPMR) Réunion-Mayotte a fait l’effet d’une bombe. Elle alerte sur une concentration des acteurs à la suite du rachat, et sur un défaut d’exercice de l’Autorité de la Concurrence. A Mayotte, le groupe Sodifram, actuel n°1 de la grande distribution avec 150 millions d’euros de chiffre d’affaires, serait relégué au second plan, et avec GBH, ils se partageraient 84% de parts de marché.

Il ne s’agirait pas pour l’étude d’un seul changement d’enseigne, mais aussi de l’implantation de grossistes qui auraient la maitrise sur les prix, y compris en vendant à Sodifram certains produits, et surtout aux doukas, ces petites épiceries de bord de route dans les villages. Il y en a 2.500 à Mayotte, elles seraient 1.000 à être menacées.

Pour Michel Lapeyre, directeur général du Groupe Bernard Hayot à La Réunion, ces affirmations sont « fantaisistes ».

Nous l’avons interrogé sur cette étude d’impact, sévère envers sa candidature, et qui pointe a minima une passivité de l’Autorité de la Concurrence. Celle-ci n’ayant pas mené d’enquête à Mayotte au prétexte que GBH n’y est pas implanté contrairement à La Réunion, aucune préconisation de revente de structures n’y a été ordonnée pour éviter une concentration anticoncurrentielle. Et elle a validé le rachat en phase 1 de l’examen de l’opération, sans même que le gouvernement n’intervienne au titre de son pouvoir d’évocation dans les 5 jours qui suivaient. Ajouté au fait que la préfecture de Mayotte n’ait pas rendu public l’étude d’impact dès sa sortie le 20 mai, cela accroit des suspicions de manœuvre pour que les sables mouvants de la grande distribution engloutissent des acteurs. Les fragiles doukas en premier. Qui verraient baisser leur chiffre d’affaires de 51 à 31 millions d’euros d’ici l’année prochaine.

« Danone ne s’implantera pas à Mayotte »

Les craintes de concentrations au niveau des grossistes sont infondées pour le repreneur

Contrairement à La Réunion, GBH n’est pas présent à Mayotte, rappelle Amaury Delavigne, directeur de Carrefour océan Indien, que nous avons interviewé aux côté du directeur de GBH Réunion : « Nous ne faisons que reprendre les activités de BDM et sans plan social. Alors que l’actionnaire était Casino France, ce sera GBH. Donc je ne sais pas comment nous pouvons passer d’un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros qu’il avance, à plus de 150 millions que fait Sodifram d’un coup ! », tout en rajoutant, « même si c’est ce qu’on vise, évidemment ! » Un espoir qui pourrait être concrétisé, nous verrons plus loin les projets en cours.

L’étude pointe le risque de concentration des grossistes du groupe, puisque la SDCOM, filiale de Vindémia tombe dans son escarcelle où figure déjà Bamyrex. Les deux pourraient noyauter le marché en amont. « Pas du tout ! », se défend Michel Lapeyre, « ces deux grossistes n’interviennent pas à Mayotte. Ce sont des importateurs de produits à La Réunion mais pas à Mayotte. Bamyrex n’y a pas fait un euro de chiffre d’affaires. »

La crainte c’est aussi de voir leurs filiales s’implanter sur d’autres secteurs, et concurrencer l’existant à Mayotte. Le sport avec Decathlon, les pièces automobiles avec Norauto, les laitages… Ce qui n’est pas gênant en soi, mais la puissance de frappe de Carrefour pourrait faire mal. « Sorilait, puisqu’on parle des yaourts et de la concurrence de la Laiterie de Mayotte, est déjà implantée à Mayotte où elle fait 50.000 euros de chiffre d’affaires mais pas avec des produits fabriqués sur place. Et je vous le dis, Danone ne s’implantera pas à Mayotte. » La Laiterie de Mayotte est le représentant exclusif de Yoplait.

Divergences entre Observatoire des prix et Autorité de la concurrence

Observatoire des prix, GBH
Présentation de l’étude d’impact par Christophe Girardier à l’Observatoire des prix à La Réunion

Michel Lapeyre défait donc tous les arguments qui pourraient accréditer d’un impact de cette reprise sur la concurrence et les parts de marché des uns et des autres. Ce qui justifie donc à ses yeux que l’Autorité de la concurrence n’ait pas mené d’enquête sur le territoire : « Si l’Autorité de la concurrence, qui détient tous les chiffres, a donné son aval c’est qu’il n’y avait pas de risque de concentration. Je ne comprends pas la prise de partie de Bolonyocte Consultant contre nous et avant même que nous soumettions l’offre ».

Et pourtant, c’est ce cabinet que Sébastien Fernandez, président de l’Observatoire des Prix et magistrat à la Cour des Comptes, a choisi. « C’est vrai, mais nous allons le contacter pour nous étonner qu’il n’y ait pas eu de débat contradictoire. »

Mis en cause, Christophe Girardier, créateur de Bolonyocte Consultant, n’est pas un inconnu à Mayotte. C’est lui qui a été l’initiateur d’un regroupement des achats des doukas sous la coopérative Macodis. Devenue bancale, bien que le modèle soit à généraliser . Nous l’avons contacté : « J’avais été appelé par le passé pour apporter mon expertise aux états généraux des outre-mer à Mayotte, initiés par Nicolas Sarkozy, ainsi que pour la loi de modernisation de l’économie. Quant à Macodis, elle ne fonctionne plus correctement parce que les propriétaires de doukas membre du conseil d’administration ne s’étaient pas entendus. »

GBH prend le train de développement des Doukas Bé en marche

La marque Doukas Bé gagne du terrain sur les petits doukas de village

La défense des doukas, c’est donc un peu sa marque de fabrique à Mayotte. Or, ils étaient déjà menacés depuis l’implantation de la marque Douka Bé par BDM, qui affichait ainsi 28 enseignes aux côtés de Jumbo et des 3 SNIE. Une opération qui n’a pas provoqué la tempête qu’elle aurait mérité. Donc, quand il voit une extension rapide des parts de marché du nouveau groupe GBH, il n’a pas tort, car le train était déjà en marche : « BDM a actuellement comme projet l’extension du parc de Douka Bé, 6 en plus, mais aussi d’un nouvel hypermarché à Combani, prés de la nouvelle station service. Un ensemble commercial de 9.000 m2. » Qui avait été lorgnés par le concurrent Sodifram. Avec la reprise, GBH bénéficierait donc de cette dynamique.

Il y rajoute un effet de changement d’enseigne de Jumbo score en Carrefour, « ce qui devrait accroitre le chiffre d’affaire, y compris des SNIE. »

Les doukas de leur côté, achètent toujours à Sodifram ou à BDM, ce qui induit des prix élevés pour les villageois après avoir prélevé de la marge. C’est sur cette configuration dénoncée lors des Observatoires des prix lors de la grève contre la vie chère en 2011, qu’il faut travailler. Les tentatives de coopératives ayant échoué, il faut activer un des ressorts de la loi Egalité Réelle en outre-mer, invite-t-il, qui ordonne aux « grandes et moyennes surfaces à Mayotte et en Guyane (de) négocier un tarif de gros maximal à l’égard des petites surfaces de détail. » Ce n’est pas mis en place selon Christophe Girardier, « c’est pourtant le rôle du préfet d’y veiller. »

L’accord devrait être concrétisé le 1er juillet. Pour contrer ce rachat, les concurrents de GBH à La Réunion ont déposé un recours au Conseil d’Etat, Leclerc a été débouté en référé. A Mayotte, la CPME a également déposé un référé en suspension devant le conseil d’Etat.

Anne Perzo-Lafond

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