C’est ce que l’on appelle un mauvais calcul. Ibrahim Azad, créateur et chef assumé de la BAB, la brigade anti-BAC a été condamné ce jeudi à 6 ans de détention pour des violences commises sur trois policiers en 2019 lors de son interpellation. Il y a un an tout juste, il écopait pour ces mêmes faits de 33 mois de prison ferme, ce qui était déjà bien plus que les 2 ans requis par le parquet. Espérant voir cette peine réduite, le chef de bande avait fait appel. La Cour a plus que doublé la peine initiale.
Dans la salle d’audience de la chambre d’appel de Mamoudzou, le prévenu a payé cher son orgueil, son attitude fière à la barre, et son absence totale de regrets, préférant exprimer des théories de complot envers sa personne, tout en reconnaissant pour la première fois être bien le fondateur et le meneur de la BAB.
La BAB, c’est cette organisation créée dans le but de défier l’autorité de la police, notamment du côté de Passamaïnty. Mais le chef de bande avait de plus grandes ambitions. Une note de la police que nous avons pu consulter indique que selon les renseignements, ce dernier avait pris contact avec des caïds de Kawéni pour tenter de s’unir en vue de s’en prendre aux policiers.
C’est sa propension à défier la police qui lui a valu d’être arrêté en avril 2019. Il s’était alors immiscé dans une interpellation qui concernait un autre suspect, reconnu comme ayant caillassé des voitures de police peu avant. Azad avait alors permis à l’autre de s’enfuir avant d’être lui-même interpellé. L’opération avait généré un rassemblement de jeunes suivi d’une « pluie de pierres » sur les policiers. Dans la confusion, Azad avait crié au groupe « tuez les, ils ne sont que trois ». Les policiers avaient alors dû faire usage de tirs de balles en caoutchouc, d’une grenade de désencerclement et de plusieurs tirs d’arme létale en l’air et vers le sol avant de réussir à s’extraire avec de nombreuses blessures. L’un d’eux avait même été mis en arrêt pendant près de deux mois.
« Une scène de guerre »
Un des fonctionnaires témoignait ce jeudi de la violence de la scène. « J’ai fait usage à 2 reprise du taser sur M. Azad, ça n’a eu aucun effet, j’ai utilisé 2 cartouches de flashball sur les individus, ça n’a eu aucun effet. Je n’avais plus d’autre solution que d’utiliser mon arme létale. J’aurais pu lui tirer dessus mais j’ai hésité, il l’a vu et il a lancé sa pierre. Depuis on ne vit plus les interventions comme avant. »
« Une 20aine d’individus voulaient nous tuer » ajoute son collègue qui décrit une « scène de guerre ». Il témoigne aussi de la difficulté qu’il a eue à devoir sortir son arme de service devant « des gamins de 14 à 20 ans ». « Je n’avais pas envie d’enlever une vie. En France les tirs de sommation ne sont pas autorisés » explique-t-il.
« Un garçon extrêmement dangereux »
A la barre, le prévenu a tenté de montrer un autre visage, ses gestes d’agacement et sa posture fière tranchant toutefois avec le ton qualifié de « mielleux » par Me Mattoir, avocate de deux des policiers. Selon elle, Azad « vous explique que tout le monde lui en veut. C’est en vérité un garçon extrêmement dangereux, où qu’il soit c’est lui qui décide. Il crée une bande, la brigade anti bac, un service de la police nationale, une équipe qui sécurise la population, il a créé l’ennemi de ce service là. Il se donne le droit de créer une force de police propre à lui, à l’opposé de la BAC. En première audience il jurait que ça voulait dire brigade anti boloss, maintenant il change. Il disait que c’était Tadjeri le chef, ce dernier n’est pas là, il ne dit plus ça. »
Cette fois en effet, Ibrahim Azad a reconnu être le « chef » de ce groupe, ainsi que de l’avoir « créé », tout en niant la moindre infraction.
« On s’interroge sur sa capacité à prendre conscience de la gravité de ses actes », renchérit Me Hesler, avocat du policier le plus gravement atteint. « La réalité c’est que vous avez là un chef de bande, révolté contre la France et les représentants de l’Etat, et qui essaye de s’entourer de jeunes susceptibles de s’inscrire dans la même logique pour affronter les forces de police. Vous avez eu ce jour là un appel au meurtre, le tribunal doit protéger ceux qui nous protègent. »
« Intention de tuer »
Une vision partagée par la représentante du ministère public Denise Lacroix qui estime aussi que le jeune homme « ne pense qu’à maintenir sa position d’autorité ». Pour elle, les faits vont au delà des coups ou morsures qui lui ont valu 33 mois en première instance. « Ces faits doivent être condamnés à la hauteur de l’intention de tuer de leur auteur. Il obéit à ses propres règles, celles d’un chef qui veut se maintenir en tant que tel. Il est temps de mettre fin à ses exactions. Je demande un minimum de 5 ans d’emprisonnement et une interdiction définitive du territoire français ».
Comme en première instance, les juges sont allés bien au delà des réquisitions, la peine de 6 ans se rapprochant fortement du maximum encouru qui était de 7 ans.
Une peine qui pourrait encore s’allonger puisqu’il est également mis en examen pour une tentative de meurtre pour laquelle il n’a pas encore été jugé mais qui pourrait lui valoir d’être renvoyé devant une cour d’Assises.
Y.D.