« Monsieur le Président de la République,
Monsieur Emmanuel MACRON,
Je vous écris aujourd’hui en marge des multiples actes de violence et d’insécurité qui secouent Mayotte ces derniers mois. Je suis un citoyen français de Mayotte. Je ne sors plus la nuit. J’angoisse le matin lorsque ma fille doit se rendre à son lycée. Les actes de violence et d’insécurité ne faiblissent pas. La pauvreté s’enracine et l’île plonge inexorablement dans le sous-développement. Aujourd’hui, les fondations de notre cohésion sociale sont ébranlées. Et Mayotte s’éloigne de plus en plus des standards de développement économique et social modernes.
Comme vous le savez, l’indépendance des Comores proclamée en 1975 est un échec qui a eu le don de jeter des milliers de familles sur le chemin menant à Mayotte. Cela n’est pas sans conséquence tant sur la démographie du territoire que sur sa stratégie globale de développement mais également sur la sécurité. L’échec de cette indépendance est devenu un fardeau, un boulet pour le département de Mayotte.
Dans le même ordre, Mayotte est le seul département français à l’entrée du canal de Mozambique et de ce fait, elle constitue la seule porte d’entrée en France à partir l’Afrique de l’Est. Par son statut de RUP, Mayotte est aussi la porte par laquelle le migrant à la recherche d’asile politique ou économique atteint le territoire européen à l’instar des îles italiennes de LAMPEDUSA. Le phénomène, certes moins médiatisé, n’est pas nouveau mais a pris de l’ampleur ces derniers mois. Il est apparu à Mayotte au milieu des années 90 à la suite du génocide rwandais, amplifié ensuite par la persistance des conflits armés dans la région KIVU, à l’Est du Congo KINSHASA et par l’instabilité politique des vingt dernières années au BURUNDI. Cette immigration arrive de l’Union des Comores qui entretient des relations diplomatiques peu regardantes en matière de circulation de personnes avec les pays de provenance du flux migratoire. Ce flux est sans filtrage à l’entrée et à la sortie des Comores au nom de l’exemption ou la facilitation réciproque de visas entre les états membres des organisations de la sous-région. Cette immigration d’un autre genre aux multiples conséquences, constitue un appel d’air.
Je ne vous écris pas pour me plaindre. Cette situation qui est celle de l’immense majorité des mahorais, vous la connaissez déjà. Du moins je l’espère. Je vous écris cette lettre pour vous demander des réponses aux nombreuses inquiétudes des mahorais. Je vous écris aussi parce que, comme tous les français de Mayotte, j’ai perdu ma liberté et ma vie d’homme libre. Nos libertés de circuler, d’entreprendre, d‘installation, de disposer d’un bien, de vivre dignement ont été confisquées. Les jours passent et les actes de violence interpersonnelle se multiplient. Les condamnations et les indignations verbales ont atteint leur limite.
A l’échelle de notre histoire, l’île est dans le creux de la vague tant les débordements et les incivilités sont visibles. Lors de votre passage à Mayotte le 22 octobre 2019, vous avez déclaré, je vous cite : « … Justement, la France, c’est la sécurité. La France, c’est la santé. La France, c’est l’éducation et les jeunes ». Comme des centaines de français de Mayotte, j’ai applaudi. J’ai eu confiance en vous car je n’avais aucune raison de douter de vos propos, de vos engagements, de la parole de l’Etat. Vous avez provoqué en moi une lueur d’espoir, une raison supplémentaire de croire en la grandeur de la France. Mais, je ne comprends pas pourquoi quelques mois après votre passage, le chaos et la désolation se sont installés. Mes certitudes se sont évaporées. Mes rêves comme ceux de nombreux français de Mayotte se sont transformés en cauchemars.
La devise de notre belle Nation n’est-elle pas « Liberté, Egalité, Fraternité » ? Je ne crois pas qu’elle soit pour l’instant suffisamment applicable à Mayotte. Les valeurs pour lesquelles les mahorais se sont battus pour que cette île demeure au sein de la République française ont été perdues dans la spirale d’une violence inacceptable et d’une insécurité ambiante.
Près de 50% de la population de Mayotte est d’origine étrangère et une bonne partie en situation irrégulière. En dépit de l’humanisme qui caractérise le noble et vaillant peuple de Mayotte, la situation est devenue insoutenable. Aucun territoire, aucune population, ne peut contenir une telle pression. L’île est plombée par les flux migratoires incontrôlés rendant obsolète toute initiative politique publique sérieuse. L’île est déstabilisée et les mouvements sociaux se démultiplient mais sans réponses. Les politiques publiques mises en œuvre demeurent peu impactantes et insuffisantes pour la résolution des difficultés quotidiennes des populations. Chaque année, l’Etat déploie d’énormes moyens financiers. Mais l’argent seul ne fait pas le bonheur. Près de 80% de la population de Mayotte vivent sous le seuil de pauvreté.
Monsieur le Président de la République,
Le mahorais est profondément attaché à la France et aux valeurs de la République. Du fait de son histoire tumultueuse, Mayotte est devenue au fil du temps, une mosaïque de communautés ayant choisi un destin commun. Des hommes et des femmes venus de France hexagonale, des Outre-mer français et d’ailleurs, ont fait le choix de s’établir ici, d’y vivre, de construire leur vie, de participer au développement du territoire. Tout comme moi, ils veulent vivre heureux et en paix, vivre ensemble et partager les grands fondements de la République afin de relever les défis de demain. Mais le sous-développement ambiant, l’insécurité et la violence ont créé chez toutes les composantes de la société mahoraise un sentiment d’incertitudes et d’incompréhension.
L’accession Mayotte au statut de département a suscité démesurément d’espoirs et d’attentes de la part des populations. Les Mahorais fondaient l’espoir d’un développement d’envergure pour équiper l’île en grandes réalisations structurantes, pour une croissance économique et un développement inclusif. Après tant d’années de revendications politiques, les Mahorais ambitionnaient aussi une vie meilleure, apaisée à travers la création d’emplois, la mise en place d’un système éducatif et de santé de qualité, la construction d’axes routiers de standards modernes pour désengorger les zones urbaines et périurbaines, l’agrandissement du port et de l’aéroport en vue de développer les liaisons maritimes et aériennes pour ouvrir l’île au monde. Les mahorais aspirent également à plus d’intégration au sein de la République : un département et une région de pleines compétences.
Mayotte, c’est aussi une biodiversité remarquable aujourd’hui attaquée par les activités illégales et clandestines en mer et sur terre. Elle se trouve en grand danger. Il convient de la protéger concomitamment aux politiques de lutte contre l’immigration clandestine. Le territoire dispose de l’un des lagons fermés les plus importants et remarquables du monde avec une biodiversité exceptionnelle. Cette richesse naturelle d’une exceptionnelle importance est le parent pauvre de la recherche scientifique. Les recherches sont occasionnelles ou quasi-absentes en dépit de ses nombreux atouts notamment économiques. Par sa géographie et son climat, Mayotte présente des spécificités qui demandent des solutions adaptées souvent différentes de celles des autres territoires d’outre-mer.
Il serait illusoirement facile de concevoir une vraie politique de développement sans une recherche fondamentale qui colle au milieu indigène axée sur divers domaines : pêche et aquaculture, agriculture et alimentation, environnement et phénomènes naturels (volcan, séisme, changement climatique). La France dispose d’excellents organismes mondialement reconnus : CNRS, IFRMER, IRD, INRAE. Il vous est suggéré, Monsieur le Président de la République, de déployer ces structures à Mayotte pour accompagner son développement économique. Adossés à la recherche fondamentale, ils peuvent accompagner la montée en puissance des activités du CUFR (Centre Universitaire de Formation et de Recherche) devant impérativement être transformé en une université de plein exercice.
Mayotte a le patrimoine naturel et la crédibilité pour devenir un pôle d’attraction pour les chercheurs du monde entier et développer parallèlement une économie de la connaissance dans les domaines de la mer et de la terre, de la volcanologie et de la sismologie.
Maintenant la priorité de votre gouvernement doit être, avant tout, de garantir la stricte sécurité des mahorais et des biens, de combattre sans concession l’immigration clandestine et ses méfaits, d’assurer le développement économique et social du territoire, d’engager une vraie politique de transformation en profondeur de l’archipel et d’achever le processus de décentralisation amorcé depuis 2004. Ainsi, Monsieur le Président de la République, il est de votre responsabilité, de veiller à ce que cette île sorte enfin de son sous-développement et que chaque citoyen de Mayotte se sente en sécurité. En parallèle, il est maintenant tout à fait urgent de procéder à la définition d’une vraie stratégie de développement avec les acteurs de la vie politique, économique et sociale de l’île.
Je signe cette lettre dans l’espoir que vous prendrez le temps de la lire attentivement et d’y apporter les réponses justes et adaptées à notre réalité. En prenant la peine de vous écrire, j’ai voulu aussi réaliser un acte citoyen et partager avec vous mes doutes, mes inquiétudes mais également mes espoirs pour que Mayotte ne soit pas juste une variable d’ajustement au sein de la République. La jeunesse mahoraise, les organisations socioprofessionnelles des salariés et des employeurs, les collectifs des citoyens, les associations des femmes expriment des doléances, des demandes et des attentes pressantes. Ils ont besoin d’écoute et d’échange, de dialogue et d’une oreille attentive. Les femmes et les hommes de cette île ont besoin aussi d’un nouveau pacte qui libère les énergies pour le développement du territoire. Je suis convaincu que vous prendrez de nouvelles orientations majeures et indispensables, des engagements forts et fermes pour bâtir ensemble, avec les forces vives de l’île, un territoire apaisé et juste, solidaire et durable dans les domaines économiques et sociaux.
Face à l’urgence, je reste persuadé de la disponibilité des forces vives de l’île pour travailler ensemble avec vous afin d’échanger, de coconstruire et coproduire des réponses et des solutions adaptées qui placent la réalité de vie des Mahorais au cœur de votre ambition pour les Outre-mer et pour la France.
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération.
Issihaka ABDILLAH