Lettre de Sébastien Lecornu aux élus : attention au mauvais diagnostic

« Bilan de la départementalisation », « différenciation », « consultation ». Trois terme clé du courrier que le ministre des outre-mer a adressé aux élus de Mayotte pour leur rappeler qu’il attend leur production. Pas question de revenir sur l’ancrage dans la France, mais attention de ne pas éluder le problème de fond : le sous-investissement dans un département sous-développé.

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Sébastien Lecornu, OUtre-mer, Mayotte
La suite de la rencontre avec les élus mahorais au ministre des Outre-mer le 1er septembre dernier

Les 4 parlementaires de Mayotte, le président de l’association des maires, et les conseillers départementaux, avaient été reçus le 1er septembre dernier par le ministre des outre-mer, essentiellement autour des sujets portant sur la sécurité du territoire et l’immigration clandestine. Des échanges « cash » nous avaient-ils rapporté, le contexte de violence s’y prêtait déjà.

En toile de fond, le bilan des 10 ans de départementalisation. Mais pas question pour les élus de relancer des Assises ou des Etats généraux. Deux conseillers étaient alors désignés par le ministre, dont l’un a multiplié les rencontres sur place. Il était demandé aux élus de figer sur le papier leurs priorités, avec une échéance pour remettre la copie, à la fin du mois de septembre. N’ayant rien reçu, c’est un rappel à l’ordre qu’envoie Sébastien Lecornu, en demandant que la contribution soit versée « d’ici le 15 octobre ». Selon nos informations, c’est en cours, un constat ainsi que des propositions ont été rédigés.

Le ministre propose un fil directeur, appelant à dresser une liste de « ce qui a été efficace, ce qui l’a été moins et ce qui doit éventuellement faire l’objet d’adaptations ». Il est fait état « des spécificités du territoire », mais aussi du choix de certaines collectivités, « désirant davantage de liberté dans leur organisation ». S’il rappelle que la départementalisation a permis « d’arrimer encore plus fortement Mayotte à la République », le ministre explique que Mayotte avait déjà fait le choix à part d’être administrée par une collectivité unique, aux « compétences départementales et régionales ».

Un « choix » contraint

En 2011, la collectivité perdait son assemblée générale pour une départementale

Des arguments qui portent à craindre un mauvais diagnostic. D’abord, Mayotte n’a pas fait le choix d’une collectivité unique, elle a pris ce qu’on lui a proposé sous l’étiquette « département ». En demandant à la population* si elle était favorable à « la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée ‘Département’ », c’est à ce dernier mot magique auquel les électeurs adhéraient à plus de 95%, et non au statut bâtard d’un département non abouti, et d’une région embryonnaire.

Deuxièmement, on sait ce qui imparfaitement marché: le manque d’investissements structurels depuis 1841 de présence française, est criant, dans un territoire sur lequel les 3 lettres RUP (Région ultrapériphérique de l’Europe) se sont aussitôt juxtaposées aux 11 du Département. En sollicitant les fonds européens pour Mayotte, c’était autant d’économisé pour le gouvernement français, qui nous mettait doublement dans l’embarras : non seulement nous n’étions pas équipés en compétences pour les consommer, privant toujours le territoire d’infrastructure, mais aussi, la démographie régionale aidant, nos politiques publiques allaient en régressant, sans volonté nationale pour y faire face.

Des lunettes grossissantes à double foyers

Il faut offrir au ministre des lunettes de lecture à double foyer, l’un régional pour étudier une solution géopolitique qui transcende les ministères, et l’autre local, grossissant sur deux mots, les « Grands Travaux » structurants, qui n’ont jamais été menés à Mayotte.

Ne pas prendre cela en compte, c’est prendre un risque de mauvaise compréhension entre les deux parties. Sébastien Lecornu demande que la contribution porte sur 3 points : le bilan de la départementalisation, les possibilités de différenciation, la méthode de la consultation. Sous entendant une consultation sur la différenciation, là où la population veut pouvoir circuler librement et sans risque nuit et jour. Le contraire d’une différenciation avec les autres régions françaises, une assimilation au contraire. C’est un préalable. Gageons que les propositions des élus collent plutôt à celles de la lettre écrite au président Macron, par Issihaka Abdillah, portées sur la lutte contre la délinquance, l’immigration clandestine, et un rattrapage de développement économique.

On sait que le président de la République propose de pratiquer la « différenciation » pour Mayotte, cela transpire dans la lettre de Sébastien Lecornu. Si dans ce domaine Mayotte peut en effet être force de proposition avec des solutions liées à son modèle social, ce ne sera pas en utilisant cette « différenciation », comme arbre qui cache la forêt du sous-développement de l’île, et de la délinquance qui en découle.

Consulter le Courrier IBRAHIM RAMADANI adressé par le ministre des outre-mer

Anne Perzo-Lafond

* Le 29 mars 2009, la population mahoraise répondait favorablement à plus de 95 % à la question suivante : « Approuvez-vous la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée « Département », régie par l’article 73 de la Constitution, exerçant les compétences dévolues aux départements et aux régions d’outre-mer ? »

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